Il existe dans bien des familles une histoire plus ou moins floue des événements du passé, une légende, un roman familial qu'il ne faut pas confondre avec les souvenirs précis de quelques rares témoins qui ont une excellente mémoire (qui ne dépasse pas la centaine d'années, même chez ceux qui ont bien écouté lorsqu'ils étaient enfants les récits de leurs grands-parents).
Je parle ici de ce que l'on raconte sans grande précision de dates ou de lieux ni même d'acteurs en cause, en confondant parfois allègrement les générations. Qui veut faire l'histoire de sa famille doit faire le tri de ce qui relève de la légende et de ce qui constitue des indices remarquables de la mémoire familiale.
Dans ma famille, la légende racontait que nos ancêtres avaient dirigé les ardoisières de La Bâthie et « que ma grand-mère enfant payait les ouvriers en pièces d'or » !
L'histoire des ardoisières de La Bâthie
Les ardoisières de La Bâthie et de Cevins étaient exploités depuis le 16eme siècle et donnaient de très belles ardoises qui auraient servi à la couverture de bâtiments prestigieux. Elles avaient l'avantage de pouvoir être exploitées à ciel ouvert mais le gros handicap de se situer à 2000 m d'altitude. La neige et les chemins difficiles rendaient les périodes de travail courtes et le transport périlleux. Un livre conséquent a été publié par …. pour retracer l'exploitation de ce gisement au statut complexe (situé en partie sur des parcelles individuelles et en partie affermé par les communes de La Bâthie et de Cevins) qui ne connut qu'une courte période d'exploitation « rationnelle » par des investisseurs qui employèrent un ingénieur des mines et firent d'importants investissements en route et téléphérique ainsi qu'en entrepôts de stockage permettant de travailler l'hiver.
Dans tout l'ouvrage, aucune mention de la famille de mes ancêtres parmi les dirigeants de l'entreprise. Il est juste signalé qu'au moment d'une courte reprise de l'exploitation après 1945, mon grand-oncle maternel occupe le poste de cuisinier et figure sur une photo floue parmi les ouvriers dont certains sont des prisonniers allemands. Rien de plus dans les journaux de l'époque, qu'il s'agisse des annonces d'adjudication par les communes ou des annonces commerciales vendant les qualités du matériau et signalant où l'on peut se le procurer.
C'est dans les alliances familiales avec des « entrepreneurs » étrangers au pays que j'ai trouvé une preuve partielle et incertaine de l'implication probable de mes ancêtres dans l'exploitation de ces ardoisières. Je n'ai pas réussi à créer une représentation simple de ce micro-système familial d'alliance qui conduit à supposer une implication des Cattelin dans l'exploitation des ardoisières de La Bâthie
Les Tellier, Tollombert et Vauthier, des entrepreneurs dont le rôle est attesté
Louis Tellier d’Esserts-blay (1752-1810) est un personnage : gros acheteur de biens nationaux, propriétaire des forges d’Arbine, acheteur en 1802 d’une parcelle des ardoisières, exploitant des ardoisières de Cevins et de La Bâthie. « Cela permet à Louis TELLIER de devenir l’exploitant unique de toutes les ardoisières De Cevins et de La Bâthie. A l’époque, il y emploie en moyenne une centaine d’ouvriers, du printemps à l’automne. Il est difficile de savoir comment cela s’est fini. En 1807, Louis TELLIER n’exploite plus les carrières de la commune de Cevins, désormais louées à Joseph BIRON de Chambéry. Il semble avoir revendu à Joseph Marie COMTET (de La Bâthie) la carrière qu’il avait acheté à Mrs PONT et TARDIEU ».1
Napoléon Tollombert né en 1810 à Ecole dans les Bauges, reprend l’ensemble de l’exploitation en 1860 de son beau-père (Marius et Thomas faisant défaut) mais la revend très vite (en 1864) à une société par action qui conduira de 1864 à 1880 une exploitation raisonnée en réalisant des investissements très importants (une route, des câbles de transport, des entrepôts à Arbine) et en recrutant un directeur, ingénieur des Ponts et chaussées : M. Grangier). Il semble avoir été un bon gestionnaire d’après ce qu’en dit l’ingénieur Grangier. On trouve de nombreuses publicités qu’il fait insérer dans les journaux pour vendre ses ardoises et il participe aux foires-expositions.
Les Vauthier (Charles 1816-1883 et sa femme Félicité Biguet) arrivent à La Bâthie venant de Hte Saône, mais ils ont déjà beaucoup bougé lorsqu’ils s’installent à Arbine (Annecy, Arvillard où sont nés leurs enfants). Charles est maître de forges et vient sans doute reprendre les forges d’Arbine (précédemment exploitées par Louis Tellier puis par un fils de Napoléon Tollombert) où l’on fond un plomb argentifère dont un filon se trouve affleurer près de là. Tous les fils Pierre Charles, François et Michel sont forgerons. Pierre Charles qui a épousé à La Bâthie une fille de Napoléon Tollombert quitte rapidement, dans les années 1880, la maison familiale puis le hameau d’Arbine pour Lyon où il vivra. Son fils Alphonse né en 1867 reviendra à La Bâthie dans les années 1900 avec sa femme Alix Azélie Lassiaz qu’il a épousée à Lyon (la fille de Marie Victoire Tellier et nièce de Joséphine).
Un micro-système d'alliances familiales
Louis Tellier revend à son gendre Joseph Marie Tartarat-Contet dont les enfants Marius et Françoise vont exploiter avec un Thomas Bochet ; Françoise Tartarat-Contet épouse Napoléon Tollombert
les deux petites filles de Louis Tellier , Françoise Joséphine et Marie Victoire, épousent quant à elle :
- un Cattelin, en 1850 pour Françoise Joséphine (ce sont mes ancêtres directs AAGP);
- en Tartarat Contet, frère de Marius en première noce en 1859 , puis un Lassiaz, beau frère de Thomas Bochet en seconde noce en 1866 pour Marie Victoire.
La fille de Napoléon Tollombert, Guillemine, épouse Pierre Charles Vauthier en 1865.
La preuve par le village Cattelin
Je sais avec certitude que ces familles sont restées très liées entre elles et possédaient à Bénétan (hameau d'alpage intermédiaire, passage obligé entre les ardoisières et la vallée) une série de chalets construits par mes arrière-grands-parents et leurs enfants : le village Cattelin.
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