top of page
Danièle Godard Livet

Urbex, histoire des lieux abandonnés ?


1- Urbex

Ils vont dans des lieux abandonnés. Ils écrivent, tiennent des blogs et des forums, font des vidéos de leurs explorations et parfois se mettent en scène dans ces lieux, y mettent en scène des objets ou en figent les graffiti. Ils en rapportent des photos ; de destruction, de désolation, d'abdication, de capitulation, de renoncement dont se dégage souvent une fascinante poésie.

Leurs livres s'appellent « Les ruines de Detroit », « Zones of exclusion : Pripyat and Tchernobyl », « France interdite et secrète », « 50 lieux abandonnés et secrets », « Patrimoines oubliés », « Forbidden Places-explorations insolites d'un patrimoine abandonné- », « Tempus irreparibile fugit », « Beauty in decay » « States of decay » « Explorations dans un monde oublié » « Passé décomposé » « Hors du temps » « Frozen » « Villes fantômes de l'ouest américain » « Spirit of Place » « l'inhabitable ». Ce sont de beaux livres, de photographes célèbres avec des préfaces d'auteurs parfois prestigieux (prévoir de 50 à 100 €) ; ou des œuvres plus modestes d'amateurs inconnus (prévoir de 15 à 30 €).

Des usines, des châteaux, des parcs de loisirs, des silos, des gares, des hôpitaux, des salles de spectacle, des bunkers, des centrales électriques, des hôtels, des asiles, des piscines, des aquariums, des maisons particulières, des cloîtres, des églises, des manoirs, des pensionnats, des orphelinats, des sanatoriums, des mines, des villes, des îles, des prisons, des forts, des garages, des locaux universitaires, des écoles, des abattoirs…parfois au coeur des villes, parfois en pleine campagne. Infinité des lieux qui ont été planifiés, budgétés, construits, utilisés puis délaissés parce qu'inadaptés, non rentables, dangereux, théâtres d'un drame, d'une faillite, d'un meurtre, victimes de l'absence de clientèle, d'une succession, d'un incendie, d'une explosion, d'un changement d'orientation, de politique, de gestionnaire. Inutiles et d'autant plus troublants qu'ils sont colossaux. Its splendid decaying monuments are, no less than the Pyramids of Egypt, the Coliseum of Rome, or the Acropolis in Athens, remnants of the passing of a great Empire.(MARCHAND MEFFRE The ruins of Detroit (2005-2010)

Ils se disent parfois lanceurs d'alertes patrimoniales mais l'histoire les intéresse assez peu et ils craignent par-dessus tout que ces lieux disparaissent, rasés ou réhabilités; ce qui les passionnent c'est la recherche des adresses secrètes, le franchissement des barrières d'interdiction d'accès, le jeu de cache-cache avec les éventuels gardiens, les risques de l'exploration et l'ambiance particulière des lieux.

Beauté des lignes nues, reprise de pouvoir de la nature, vitres cassées, crépis décollés, infiltrations d'eau ; toits crevés, peintures écaillées, gravats et beaucoup d'objets abandonnés : machines, lits, fauteuils, livres, instruments de musique, jouets...comme si les départs avaient été précipités alors qu'ils ont souvent été lents et progressifs. Rebuts frappés d'obsolescence.

Ils sont nombreux et passionnés ; on parle d'eux ; ils ont créé une discipline (récente, 20 ans au plus) qui a ses codes, ses classifications, ses hiérarchies. Quelques chercheurs, architectes, anthropologues ou metteurs en scène s'intéressent à eux et décryptent dans leur pratique une recherche de l'émotion, celle de la transgression, du péril, de la distorsion du temps et de l'appartenance à une communauté.

Pour nous qui aimons parfois flâner dans les friches et ne dédaignons pas l'esthétique des espaces délaissés, quel est cet objet de fascination ?

2- La maison de ma mère

Ma mère est morte il y a deux ans ; elle n'habitait plus sa maison depuis quelques années déjà, après des chutes et des chutes qui mettaient sa vie en péril.

Après l'inventaire exigé par le notaire (pour le calcul des droits de succession), nous n'avons rien bougé, rien vidé, tout laissé en attente. Sa maison est en vente mais personne n'en veut. Trop grande, trop d'impôts locaux, trop de frais de chauffage, plus au goût du jour, tout à rénover de l'électricité aux circuits d'évacuation, des plafonds à refaire aux murs à ravaler, tout à redistribuer de la cuisine trop petite au séjour trop grand.

Le toit fuit, l'indivision va faire les réparations.

Mais un lit et une moquette ont été endommagés…

…..Et j'imagine soudain la maison de ma mère qui devient un lieu abandonné :

Les tapisseries décollées, les fauteuils défoncées, les tables renversées, les appareils ménagers dépecés, les lustres vandalisés, les lits éventrés, les miroirs maculés, les livres dispersés, les vitres cassées, la cheminée servant de feu de camp, les placards vidés, la vaisselle et les vêtements éparpillés, les salles de bain rouillées, les carrelages décellés, les portes violées…

Le jardin devenu broussailles, les accès empêchés, les arbres et la pelouse dévastés…

Et tout ce que ma mère a conçu, voulu, aimé, habité qui serait détruit. Vertige, comme une chute à travers un plancher délabré.

Je n'ai jamais aimé cette maison où je n'ai jamais vécu mais il me vient une étrange tendresse pour ce lieu et pour ma mère qui ne mérite pas ce naufrage de ses rêves.

260 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Les huit

bottom of page