Martha ose
« Martha ose », c’est le nom de la chaine YouTube que je viens de créer. Les success-stories des blogueurs, vlogeurs, instagrameurs commencent à me rendre verte de jalousie. Quand je pense que Virginia Woolf n’a vendu « To the Lighthouse » qu’à trois mille exemplaires la première année (et encore c’était un succès en comparaison de Mrs Dalloway) !
Agathe Ruga (Agathe.the.book) 13 000 abonnés à son compte instagram et publie son premier roman chez Stock « Sous le soleil de mes cheveux blonds » ; la blanche de Gallimard sort « Licorne » le premier roman de Nora Sandor dont l’héroïne est une droguée des réseaux sociaux ; le président parle sur une chaine YouTube et le ministre de l’Éducation nationale a des contrats avec des youtubeurs (800 à 1000 € les 5 à 10 min de vidéo). Je n’ose même pas vous parler des stars qui engrangent des millions de vue pour quelques blagues ou moments de leur vie intime. Il est temps que Martha fasse entendre sa voix, ma voix. Martha ose.
J’ai balayé toutes les objections autour de moi (c’est trop tard, tu n’y arriveras pas, ce n’est pas de tout repos), suivi des formations (les 7 erreurs à éviter, comment augmenter son trafic, persévérer après un premier échec), acquis le matériel et les modes d’emploi (montage, capture d’écran, retouche photo). Quelques soucis avec le choix de ma thématique, mes centres d’intérêt sont si nombreux : de la botanique à la généalogie en passant par la lecture et la politique, j’ai opté pour la négation : « Martha ose » la chaine qui ne parle de rien qui fait le buzz. Il faut dire que même mon physique ne risque pas d’accrocher le chaland, j’ai donc décidé de me filmer de dos.
Dix abonnés ce matin, c’est un début ! Pour ma première chronique, j’avais choisi une mise en parallèle de « To the Lighthouse » de Virginia Woolf avec « Le temps retrouvé » de Marcel Proust autour de l’influence de la Grande Guerre dans la vie des écrivains. La semaine prochaine, je tenterai un parallèle entre « Je ne veux jamais l’oublier » de Michel Déon et « Sérotonine » de Michel Houellebecq, deux manières d’afficher son désœuvrement dans le siècle, à un siècle de distance.
Personne autour de moi n’a envie de travailler, ils veulent tous être artistes, travailler à mi-temps tout en affichant un style de vie de millionnaires. Cela me tracasse, mais comment saisir les raisons profondes de cet air du temps d’individualisme et de succès facile. Me fascine aussi. Car maintenant, je les suis, ces blogueurs, vlogeurs, instagrameurs. Je passe mes journées dans la lumière bleue de mon écran en espérant la pleine lumière des projecteurs.
Le premier commentaire reçu m’a un peu refroidie. Je sais que ça balance beaucoup sur les réseaux sociaux, mais tant de haine m’a fait réfléchir. Jamais personne n’avait osé me dire cela en face ; que mettre « le temps retrouvé » au-dessus de « to the lighthouse » était une insulte au féminisme ; que l’ apologie du sens politique d’une pédale dégénérée contre l’intimisme d’une femme qui avait payé son talent de la folie et du suicide, une ignominie ; qu’on se désabonnait de ma chaine pour ringardise pure et simple.
Je suis en phase de réflexion avant de poursuivre.
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