je pense qu'il faudrait une catégorie "escaliers" dans l'atlas des régions naturelles. Une catégorie qui recenserait toutes les formes d'escaliers, pour les habitations d'abord comme celui de cette maison si banale qu'on l'a vue des milliers de fois : escalier collé à la façade ménageant un garage en bas et un palier-balcon à l'étage. Formes d'escaliers de bâtiments à usage collectif, industriel, religieux, sportif et même escalier naturel à rassembler ensuite.
François Bon avait un jour posé la question de l'escalier dans un atelier d'écriture à propos des lieux qui nous parlent, à partir d'une réflexion de Georges Perec :
Rien n’était plus beau dans les maisons anciennes que les escaliers. Rien n’est plus laid, plus froid, plus hostile, plus mesquin, dans les immeubles d’aujourd’hui. On devrait apprendre à vivre davantage dans les escaliers.
Les contributions reçues sont rassemblées dans un livre : On ne pense pas assez aux escaliers.
J'étais à Montréal à l'époque, Montréal où les escaliers sont si beaux, tellement inattendus dans ce pays de neige et de pluie verglaçante, tellement visibles et si peu collés au façades contrairement à notre pratique frileuse (hors escalier d'apparat ou d'architecte). La consigne m'avait plu et j'avais recherché le pourquoi de cette pratique nord-américaine de l'escalier triomphant dans les quartiers les plus populaires (bien gentrifiés aujourd'hui). L'explication que j'avais trouvée n'est peut-être pas la bonne, mais elle m'avait paru cohérente. Les promoteurs qui transformaient les terrains agricoles en lotissements de rapport devaient répondre à une double contrainte : laisser un espace vert assez large devant l'immeuble et ne pas trop réduire leur potentiel locatif en conservant des appartements assez grands, y compris sur plusieurs étages. Avec en prime l'économie du chauffage de la cage d'escalier.
Mais c'est ailleurs que m'avait emmenée la consigne, vers mes tous premiers souvenirs d'enfance, le premier escalier :
Le premier escalier de ma vie, c’est dans les bras de mon père que j’ai dû le monter, ou alors dans ceux de ma mère ou bien dans un couffin ; en fait je n’en sais rien, je n’avais que quelques jours et les yeux à peine ouverts. L’appartement accessible par l’escalier avait été prêté à mes parents alors que mon père était sans emploi et ma mère enceinte. Cet escalier (que j’ai revu ensuite pendant des vacances) m’a toujours paru des plus étranges : escalier intérieur qui n’avait pour fonction que de desservir l’étage d’une maison divisée en deux appartements par un héritage ; on entrait et on tombait sur un escalier et rien d’autre, au sommet de l’escalier un long palier-couloir meublé d’un lit étroit, puis une porte qui donnait sur la pièce à vivre (cuisine, salle à manger, salon), puis la chambre et sa grande alcôve où étaient entassés meubles et vaisselle. Un cabinet de toilette avait été aménagé sous l’escalier. C’était coquet et agréable, et complètement différent des autres maisons du hameau, étrange, incongru. L’étrangeté, c’était sans doute celle d’un appartement citadin accessible par un escalier dans une maison paysanne d’un hameau auvergnat. L’étrangeté, c’étaient ces tantes célibataires et sans enfant, propriétaires de ces appartements qui leur servaient de résidences secondaires pendant leurs vacances de fonctionnaires. L' étrangeté, c’était qu’il s’agissait de la maison de la tante Gal, morte avant ma naissance, dont personne dans la famille ne prononçait le nom sans crainte.
La suite du texte racontait comment j'avais lentement , marche après marche, percé le secret de famille qui entourait cette tante Gal. Georges Perec et François Bon avaient raison, il y a beaucoup à dire autour des escaliers !
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