On se connaît bien cher Monsieur G. Je vous ai aidé dans vos recherches sur le château de Bois Dieu et la famille Fleurdelix, pas vrai ?
Mais enfin, vous ne m’avez jamais parlé de Pierre Neyron de Champollon ! Pourquoi ? C’est après sa mort que Bois Dieu a été vendu en 1974, je me trompe ? Vous m’avez parlé de ce brave Louis Neyron qui avait créé en 1884 les établissements Rasurel avec le bon docteur inventeur de la fibre triboélectrique et du sous-vêtement hygiénique, Louis mort d’une crise cardiaque peu de temps après l’achat de Bois Dieu. Vous m’avez parlé de son fils Jacques, le cadet, mort dans la Somme en 40 à 26 ans et rien sur Pierre ? Vous m’avez parlé de Félicie, la mère qui avait repris courageusement l’affaire Rasurel à la mort de son mari puis de son fils, une maîtresse femme, mais en 1940 elle avait déjà 70ans, elle a dû céder la place, c’est bien cela ? Arrive alors Pierre, Pierre qui n’est plus seulement Neyron, mais Neyron de Champollon, accolant à son patronyme celui de sa mère Félicie du Louvat de Champollon, ça complique, ça brouille les pistes. Vous saviez pourtant que Jacques Neyron qui figure sur le monument aux morts de Lissieu était le frère de Pierre, qu’on appelle aussi « docteur Rasurel » du nom de sa société ? Un frère fantasque, à qui on n’aurait pas laissé les rênes de l’entreprise si l’aîné n’avait pas été tué, c’est ce que vous pensez ? C’est pour ça que vous ne m’en avez jamais parlé ? Un accident de l’histoire qu’il vaut mieux oublier ? Même si sa mère n’est morte qu’en 1962 à 92 ans, elle ne devait pas peser bien lourd dans les affaires de l’entreprise Rasurel, n’est-ce pas ? On ne peut pas passer sa vie à parler du château de Bois Dieu, de la famille Fleurdelix, de la bonne madame Antoinette Marie Charlotte Vincent de Vaugelas épouse de Léon Marie Fleurdelix morte en 1895 à 88 ans, tant aimée des Lissilois et ne rien dire de la suite ? Car après Jacques, le mort glorieux, le héros de la Somme, l’étudiant et le sportif accompli, l’inventeur de la publicité de marque, il y a eu Pierre à la tête des établissements Rasurel ? Lissieu préserve encore au titre du patrimoine bâti une publicité murale pour la fibre triboélectrique, vous la connaissez ? C’est chemin de la carrière juste après le pont sous l’autoroute à l’entrée du bourg, vous voyez ? Et il a fait parler de lui Pierre ! Les journaux d’après guerre en sont pleins du munificent Pierre Neyron de Champollon ! Il venait souvent à Bois Dieu ? Vous l’avez obligatoirement connu, vous étiez jeune, mais si vous passiez vos vacances à Bois Dieu vous l’avez sûrement croisé. Dites-moi, vous ne vous souvenez de rien ? Trop sulfureux peut-être ? Une vraie vie de roman pourtant ! Je lis : « le plus connu et le plus échevelé [de ces circuits de plaisir lyonnais], parce que l’imagination de son mécène était délirante, fut durant de longues années celui de Neyron de Champollon pour le compte duquel de véritables rabatteurs couraient les dancings des faubourgs comme les night-clubs afin de découvrir les " mannequins » souhaités par l’infatigable maître de ballet de ces réunions qui se déroulaient chez le « Docteur Rasurel » au domaine de Bois Dieu où à l’usine de l’avenue Félix Faure ordonnée autour d’une immense piscine. » Je n’invente rien, lisez ! Lisez, ça parle du domaine de Bois Dieu, je ne me trompe pas, c’est bien le même ? À Lissieu, c’est bien ça ? Voilà d’où viennent les nymphettes en maillot de bain Rasurel ! Il y avait aussi la villa de Montplaisir avec piscine intérieure et piscine extérieure, c’est normal d’aimer les piscines quand on aime les jolies filles et qu’on vend des maillots de bain, n’est-ce pas ? En croisiez-vous à Bois Dieu de ces mannequins ? Dans les bois ? Dans l’étang ? Et les ventes de maillots Rasurel à l’Afrika korps pendant la guerre, vous n’en dîtes rien ? Je sais bien que le livre de Pierre Mérindol est contesté, mais quand même c’est écrit noir sur blanc et puis il y a les journaux de l’époque, vous n’en avez jamais entendu parler ? Et le refuge dans la clinique psychiatrique suisse juste au sortir de la guerre, ça ne vous dit rien ? Il était fou ou voulait-il juste se protéger ? Et le procès avec son conseiller financier Giroy pour les dix millions détournés (ou les 30 millions, je ne sais plus, tout cela est tellement incroyablement confus dans les déclarations des protagonistes) ? Et le procès avec les banques suisses pour se faire restituer les 50 millions placés pendant l’occupation et jamais rendus ? Et le colis piégé du George V destiné à Pierre Neyron de Champollon ouvert par Melle Cordier qui en fut gravement mutilée ? Vous ne dîtes rien de tout cela ? Elle n’a rien dit, elle non plus, la secrétaire-amante et en a été bien récompensée de souffrir en silence puisqu’elle fut l’unique héritière de ce qui restait de l’empire ! Vous ne saviez pas ? Vous voulez que je vous lise les coupures de journaux que j’ai rassemblées ? Parfois, c’est incroyable de drôlerie les arguments avancés, des histoires de maladie, de prise de gardénal pour oublier des soucis familiaux, des trous de mémoire pour ne pas répondre ? Ce n’est pas la peine ? Vous connaissez ? Vous étiez trop jeune ? On vous a tenu en dehors de toutes ces histoires ? Ne me racontez pas de bobettes, on devait bien en parler dans la famille ? Un bel héritage quand même, même si beaucoup avait disparu ? Je sais, c’est loin tout ça, moins loin que les Fleurdelix quand même, vous ne croyez pas ? On n’aime pas parler de cette guerre-là, trop de choses troubles et puis tout cela a été jugé n’est-ce pas ? Je ne veux pas en faire toute une histoire, comprenez-moi bien, je veux juste savoir, c’est important de savoir, vous ne croyez pas ? Je comprends que vous préfériez ne vous rappeler que le héros mort dans la Somme, mais ça laisse un trou de plus de trente ans dans l’histoire, un peu gênant, non ? L’histoire des familles, c’est toujours compliqué, n’est-ce pas ? On s’accroche à la légende, c’est cela on reconstruit, la mémoire sélectionne, on oublie ? Et puis en 1966, la société Rasurle est vendue à Lejaby, fin de l’histoire, on oublie tout ? Ah non, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je n’ai jamais prononcé le mot de collaboration, on ne peut pas parler de résistance non plus, vous êtes d’accord ? Il paraît que Pierre a écrit ses mémoires dans la clinique neurologique où il était soigné pendant les dernières années de sa vie, le manuscrit serait conservé par l’un de ses médecins, vous en savez quelque chose ? Bien déconcertant et fantasque ce Pierre Neyron de Champollon qui était resté célibataire, vous ne voulez rien m’en dire ? Pour sa tombe au moins, il n’encombre pas Lissieu le sulfureux, elle se trouve dans le parc de son château de Jujurieux, le château familial de sa mère, devenu propriété de Simone Cordier. Une fidèle celle-là, vous ne croyez pas ? Et lui, reconnaissant jusque dans la tombe, c’est beau la fidélité et la reconnaissance ! J’admire votre fidélité et votre reconnaissance aux Fleurdelix, croyez-le bien. Le château a été sauvé, reste à sauver les tombes dont les inscriptions s’effacent au pied de l’église de Lissieu. Vous ne m’en voulez pas ? C’était important pour moi de vous poser ces questions.
Tissu d'erreurs !
Bonjour, je suis impressionné par tous les détails que vous savez de la vie de Pierre Neyron de Champollon. Les avez-vous par tradition orale? Par Pierre Mérindol (auquel de ses livres faites-vous référence?) Je suis pour ma part l'auteur d'un livre qui retrace sa vie, et plus particulièrement ses déboires avec Pierre Giroy (Chocolats!).
En vous remerciant par avance pour votre réponse!
Bien cordialement
Régis Confavreux
confavreux@gmail.com