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Photo du rédacteurDanièle Godard-Livet

Je n'ai jamais pris la route des grands goulets


Je n’ai jamais pris la route des grands goulets. La première fois que je suis allée dans le Vercors en 2002 ou 2003, la route était déjà fermée, temporairement croyait-on. Nous y étions en camping-car, et il y avait bien d’autres endroits qui faisaient peur : malgré les panneaux routiers, je sortais pour vérifier que nous pouvions passer sous ces surplombs rocheux qui dominaient la route. C’était sans doute dans les gorges de la Bourne car nous venions du Royans.


Quand je vois cette route et plusieurs autres routes du Vercors, je ne peux m’empêcher de songer au travail des hommes qui l'ont construite et à ceux qui y ont laissé leurs vies. Il a fallu dix ans à la pioche et à la dynamite pour la percer de 1843 à 1854 et lorsqu’on voit les techniques utilisées, on imagine que les accidents étaient fréquents. Pour créer l’espace qu’on allait agrandir à la pioche, il fallait descendre par une échelle de corde le long de la falaise, placer la dynamite et s’éloigner assez vite du rocher sur une corde libre pour ne pas être écrasé par les éclats.On peut voir une reconstitution ici.

Aujourd’hui la route des grands goulets est définitivement fermée et remplacée par un tunnel ouvert en 2008 ; on ne peut faire à pied qu’un tout petit trajet sur l’ancienne route jusqu’à un belvédère. Première route à désenclaver le Vercors, elle fit venir les touristes...qui logèrent même au début dans les baraques construites pour les ouvriers au village des Baraques en Vercors. On peut parcourir l'ancienne route ici et la nouvelle tout à loisir vis google street view.


Nous sommes depuis retournés plusieurs fois dans le Vercors, sans doute un des plus impressionnants massifs français accessible aux non-marcheurs (et très prisé des motards et cyclistes). Une grande découverte que cet immense massif calcaire, pour moi qui avais surtout connu les pays granitiques ou volcaniques. J’ai toujours un mal fou à m’y repérer sans carte, tellement les paysages sont différents selon que l’on vient de Grenoble (Autrans, Villard-de-Lans, Lans-en-vercors), du Royans (accès à plaine centrale par la Combe Laval ou les grands et petits goulets, de Valence (col des Limouches et l’abbaye de Léoncel, col de la Bataille), de Crest (Gervanne) ou de Die (col du Rousset et cirque d’Archiane). C’est grand le Vercors ! Tout récemment encore, nous nous sommes perdus à la recherche du lac de Bouvante, un des rares barrages du Vercors (karstique) que nous n’avons pas trouvé, Et pour cause, il était vide en 2020.


Le Vercors, c'est aussi le pays dont Georges Perec parle dans W ou le souvenir d'enfance mélange d'une fiction écrite à 13 ans et d'un récit autobiographique débuté à Villard de Lans.

« Je n'ai pas de souvenir d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m'adoptèrent. Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparente, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n'était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente? "Je n'ai pas de souvenirs d'enfance": je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé: une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place: la guerre, les camps. A treize ans, j'inventai et dessinai une histoire. Plus tard, je l'oubliai. Il y a sept ans, un soir, à Venise, je me souvins tout à coup que cette histoire s'appelait "W" et qu'elle était, d'une certaine façon, sinon l'histoire, du moins une histoire de moment de mon enfance. »
villard de Lans, palce mûre ravaud
google street view

Au début de la guerre, il y avait une centaine de maison d'enfants non tuberculeux à Villard-de-Lans qui avait fait le choix de ne surtout pas accueillir de sanatorium. Aujourd'hui la bibliothèque de Villard-de-Lans s'appelle Bibliothèque Georges Perec, elle est dans l'espace loisirs juste à côté d'une borne commémorant les olympiades de 1968. Pas sûr que Georges Perec aurait apprécié...


Allez dans le Vercors, ça en vaut vraiment la peine. Vous pourrez aussi passer au musée de la résistance, mais ça vous le savez déjà. Et c'est une bien triste histoire.


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