Le parking des Chères où rien ne manque excepté la beauté
- Danièle Godard-Livet
- il y a 5 jours
- 3 min de lecture

En mai 1982 julio Cortazar et Carol Dunlop décident de suivre l'autoroute du soleil de Paris à Marseille sans jamais en sortir en s'arrêtant sur les aires de service. Ils passent la nuit du 9 au 10 juin sur l'aire des Chères à quelques kilomètres de chez moi. Ils en ont fait un livre devenu culte : "Les autonautes de la cosmoroute ou un voyage intemporel Paris-Marseille".
Le week-end du 24 mai 2025, j'ai eu envie de passer la nuit en camping-car sur le parking des Chères comme Julio Cortazar et Carol Dunlop à bord de leur Fafner. Une idée comme ça, pour rendre hommage à leur aventure , pour voir ce qui avait changé, pour voir s'il y avait moins de camion et plus de beauté.
Des camions, depuis leur départ de Paris, ils en suivent, se font dépasser, en ont peur, essaient de s'en éloigner sur les parkings et se demandent ce qu'ils transportent. Moi, je ne vois qu'une chose : ils viennent de Lituanie, de Roumanie ou de Pologne, Parfois d'Allemagne ou de Belgique, mais surtout de Lituanie. J'aimerais comme Julio Cortazar engager la conversation avec un espagnol qui regrette d'avoir raté l'accouchement de sa femme à Malaga. La petite née alors est désormais une femme qui a dépassé 40 ans et accouche peut-être elle-même en ce moment.
Outre que je ne parle ni lituanien, ni roumain, ni polonais, je ne vois aucun camioneur sortir de sa cabine. Peut-être dorment-ils ou se préparent-ils à passer le week-end dans leur cabine pour ne sortir qu'à la nuit tombée prendre une douche, manger et boire avec leurs copains. Ou peut-être pas. Pourtant au petit matin, je trouve une bouteille de vodka Poliakov et une canette bleu lagon au milieu d'une place de parking.
Un polonais mange à l'arrière de sa remorque, je ne le vois que de dos. Que transporte-t-il ? Il a l'air presqu'à vide. Un roumain fait sa cuisine dehors à la fraîche. Plutôt bien installé (rechaud, bocaux de conserves du pays), il me gratifie d'un pouce levé quand je lui demande par signe si je peux le prendre en photo. Les routiers ont bien changé en quarante ans. Un article du Monde (25 juin 2025 eric Albert et Noa Moussa) explique la lente agonie des restos routiers : des chauffeurs étrangers, moins bien payés, qui ne mangent plus dans les restos routiers ni les restos des aires de service. Pour en retrouver l'ambiance et donner libre cours à la nostalgie, suivez Guillaume Blot qui leur consacre un livre : Restos routiers
A midi, c'étaient les grosses caravanes hollandaises ou anglaises qui s'arrêtaient sur les emplacements des camions, mangeaient debout et repartaient aussi vite. Il n'y a pas un seul coin d'ombre comme il y a quarante ans. Comme si en quarante ans, les arbres n'avaient pas réussi à grandir !
Il faut dire que la partie restauration de l'aire des Chères-est (sens Lyon-Paris) à laquelle on accède par une passerelle depuis l'aire des Chères-ouest (sens Paris-Lyon) n'a pas de quoi faire rếver. J'y vais pour le plaisir d'emprunter le pont au-dessus de l'autoroute. On y descend par un escalier sinistre pour trouver une salle tout aussi triste et vide.
Cette passerelle est sans doute la plus grande nouveauté en quarante ans. Les bornes de recharege électriques ont remplacé les cabines téléphoniques, mais rien n'a vraiment changé à l'aire des Chères depuis la halte de Julio Cortazar et Carol Dunlop. La preuve par la photo : les leurs pp172 et 173 et les miennes (si j'avais pris les mêmes points de vue, ç'aurait été mieux !)
Pourtant, cette aire a une face secrète. Passé un petit portillon discret à peine entrouvert mais non cadenassé, on est en pleine campagne au bord de la rivière Azergues où promeneurs et pécheurs se soucient peu de l'autoroute. Les routiers ne connaissent sans doute pas le secret, les locaux si, qui venaient (ou viennent encore) chercher cigarettes et bouteilles quand tout est fermé en pleine nuit.
Cette double face de l'autoroute, c'est ce qu'explore Cyprien Desrez en marchant le long de l'autoroute et en franchissant parfois les portillons ou les barrières antifaune pour s'approviosionner ou se laver sur les parkings. Il raconte et c'est délicieux. Lisez-le!

Autoédité ( de grande qualité : typographie, illustrations et couverture à rabat), le ivre est vendu par la librairie du voyage qui vous le livrera rapidement (avec un mini carambar).
Cyprien est né à Lisieux d'une infirmière libérale et d'un palfrenier. Il est artiste, plein d'idées, rafraichissant et n'a que 30 ans.
"Chacun devrait pouvoir publier son propre livre qui s’appelle Autoroute. Ce serait pas une belle affaire, ça ?"
François Bon
Cyprien l'a fait et c'est une réussite.
ça fait envie...pourtant, les autoroutes, ça fait pas envie, d'habitude !! Je vais commander le petit bouquin, j'adore les Carambars !! Merci !
Superbe de poésie. Idée géniale