Armelle Mabon : l'accès aux archives pour un vrai devoir de mémoire
- Danièle Godard-Livet
- il y a 11 heures
- 4 min de lecture

Le 3 mai 2025 deux cars affrétés par des associations lyonnaises amenaient au Tata sénégalais de Chasselay de nombreuses personnes de Vaux en Velin et des Brotteaux pour une visite.
Pas de commémoration particulière, pas de ministre non plus comme après la réouverture du Tata en mars 2025 une fois réparées les profanations commises en janvier de la même année, juste des visiteurs accueillis par le maire de Chasselay et la directrice de l'office des anciens combattants et victimes de guerre.
Cette journée a été pour moi l'occasion de faire la connaissance d'Armelle Mabon, chercheuse au CNRS et immense connaisseuse des archives concernant les tirailleurs sénégalais qui se bat pour la vérité et la justice
Armelle Mabon m'a d'abord envoyé des archives que je n'avais pas trouvées à Lissieu.
19 tirailleurs sénégalais sont tombés à Lissieu et leurs noms figurent dans les actes de décès de l'état civil de Lissieu à la date du 26 juin 1940. Je l'avais évoqué dans un précédent post il y a deux ans.
Ils appartenaient pour la plupart à la classe 39 et venaient majoritairement du Sénégal, mais aussi de Guinée et du Soudan (français actuel Mali).
Les 18 et 19 mai 1942 en présence du maire de Lissieu Pierre Carriat, de M. Marchiani fondateur du tata sénégalais et du secrétaire de la Légion, ses soldats morts ont été exhumés à : Bois Dieu, Chamagnieu, Montluzin, Montvallon et un vingtième corps chez les soeurs de Nevers (à Chasselay donc).
Deux seulement de ces soldats figurent sur le monument aux morts de Lissieu et possèdent une plaque commémorative à leurs noms à Bois Dieu : Kaly Baudian et Maïssa Faye tombés à Bois Dieu. Pourquoi deux ? Pourquoi eux ?
Ils ont aussi leurs tombes et leurs noms au Tata sénégalais où ils sont enterrés avec 13 autres tombés à Lissieu. On trouve la photo de toutes ces tombes dans la rubrique cimetières et nécropoles de geneanet.

Lors de l'exhumation de 1942, cinq des corps enterrés dans une des deux fosses communes de Lissieu n'ont pu être identifiés avec certitude; seules les plaques et les numéros matricules ont été retrouvés (et rien pour l'un d'entre eux). Après mise en cercueil tous ont été enterrés au Tata sénégalais...avec sur leur tombe la mention inconnu.
En 2022, à la demande du président Emmanuel Macron* des plaques ont été apposés sur les murs du Tata ajoutant quelques 25 noms retrouvés de tirailleurs sénégalais jusque là inconnus : deux d'entre eux font partie des cinq non-identifiés des fosses communes de Lissieu : Keita Filamoro et Baradji Faly. Pourquoi eux ? Pourquoi deux seulement ?

Comment ces deux noms ont-ils été validés, sur quelle base archivistique ? La polémique est ouverte entre Julien Fargettas, historien reconnu des tirailleurs sénégalais et Armelle Mabon **chercheuse tout aussi éminente de ce pan de notre histoire.
Mais le combat d'Armelle Mabon est plus vaste et j'ai cherché à mieux connaître ses travaux. Ils concernent tout particulièrement depuis 20 ans le massacre de Thiaroye** *le 1er décembre 1944 longtemps nié par la France, aujourd'hui reconnu mais si imparfaitement documenté qu'Armelle Mabon parle d'un mensonge d'état qui ne cessera que lorsque les fosses communes de Thiaroye seront ouvertes pour permettre de déterminer le nombre réel de morts et lorsque le procès des fusillés sera révisé.
La liste des archives françaises et étrangères consultées par Armelle Mabon est imposante. Ses recherches de descendants des fusillés de Thiaroye, ses demandes d'accès à des archives non communiquées et les refus essuyés plus impressionnante encore malgré la saisie de la commission d'accès aux documents administratifs. Ses actions auprès du tribunal administratif viennent de connaître un succès en cours d'appel administrative avec un arrêt du 9 mai 2025 contestant des conclusions du ministère des armées. Un long chemin qu'elle suit patiemment convaincue que sans accès aux archives, il n'y a ni vérité scientifique ni justice.
Le ministère des armées français possède aujourd'hui une direction de la mémoire, de la culture et des archives. Le devoir de mémoire est dans toutes les bouches officielles. C'est en rencontrant des chercheurs comme Armelle Mabon qu'on reprend confiance dans ce que peut être le respect des sources, de la vérité et de la justice dans une époque qui ne semble plus en avoir besoin. Vous pouvez suivre Armelle Mabon sur son blog
*Dès 2019 Emmanuel Macron invite les maires de France à L'occasion du 75eme anniversaire du débarquement en Provence « Je lance aujourd'hui un appel aux maires de France pour qu'ils fassent vivre, par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies, la mémoire de ces hommes qui rendent fiers toute l'Afrique »
**Julien Fargettas a publié Les Tirailleurs sénégalais: Les soldats noirs entre légendes et réalités 1939-1945(2010), Juin 1940: Combats et massacres en Lyonnais. Comprenant Chasselay : anatomie d'un massacre(2020), La France libérée par son empire (2023)
Armelle Mabon Prisonniers de guerre Indigènes : Visages oubliés de la France occupée (2010), Le massacre de Thiaroye: 1er décembre 1944. Histoire d'un mensonge d'Etat (2024) Armelle Mabon devient même personnage de BD dans "Morts par la France-Thiaroye 1944"(2018)
*** Thiaroye Le 1er décembre 1944, dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, 1 635 soldats ayant combattu pour la France sont stationnés après un retour à bord du navire Circassia, en provenance de Morlaix (Finistère).D’ex-prisonniers de guerre internés par les nazis dans les frontstalags, des camps situés dans les pays occupés qui réclament leurs arrièrés de solde et leur prime de démobilisation. La repression est conduite par des gendarmes français, renforcés par d’autres régiments de tirailleurs qui tirent sur la foule. Le nombre de morts reste à ce jour inconnu.
**** Les faits sont connus dès le poème de Senghor écrit en 1944 publié en 1948. En 2012 et 2014 la France reconnait "une repression sanglante". Les morts de thiaroye obtiennent en 2024 le statut de "mort pour la France". Ce n'est que le 28 novembre 2024 que le président français a reconnu dans une lettre adressée à son homologue sénégalais que « ce jour-là, la confrontation de militaires et de tirailleurs qui exigeaient que soit versée l’entièreté de leur solde légitime a déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre ».
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