Tout français qui a au moins soixante ans se souvient des rapatriés qui sont rentrés d'Algérie en 1962. Pour moi, ce sont deux femmes extraordinaires qui ont fait irruption à la rentrée 1965 dans le lycée de jeunes filles de Clermont-Ferrand; j'allais avoir quinze ans et je n'ai jamais oublié ce vent de liberté que je n'aurais jamais imaginé :
- ma professeure de français-latin-grec qui enseignait assise sur son bureau, belles jambes croisées bien haut et poitrine opulente et libre sous son pull, qui nous lisait "Noces" de Camus avec des accents si passionnés que l'on sentait le soleil et la mer de Tipaza ;
- la surveillante générale du lycée, vêtue d'une robe de cuir noir qu'elle affectionnait particulièrement, qui créa le premier ciné-club du lycée et nous passait des films d'art et d'essai avec discussion après la projection.
J'ai oublié leurs noms mais pas leur trace dans ma mémoire; dans un lycée où j'étais interne et où l'on devait porter une blouse à notre nom (rose ou bleue selon les semaines), c'était une révolution.
Rien en elles ne parlait de la douleur de l'exil.
Hubert Ripoll présente dans "mémoire de "là-bas"- une psychanalyse de l'exil" des témoignages de rapatriés qu'il a recueillis en faisant un appel aux volontaires sur son site internet. C'est poignant d'entendre toute cette douleur le plus souvent tue ou ignorée, même des plus proches. Un beau livre qui parle d'histoires de vies brisées par l'exil.
Mais on reste sur sa faim et un autre livre serait à faire sur les souvenirs des français de France : ceux qui ont vu leurs enfants partir pour un service militaire de deux ans, ceux qui sont partis et pour certains jamais revenus, ceux qui ont vu les murs couverts de slogans OAS et la presque-guerre civile, ceux qui se battaient contre la France coloniale et ceux qui comme moi n'ont vu que l'apport de cette diversité à la morne petite vie d'un internat français des années 60.
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