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  • Danièle Godard-Livet

La Chevalerie


Le chêne ; la première chose qui m'importe en arrivant par le raidillon goudronné maintenant ; il me semble qu'il n'a pas grandi ; en cinquante ans ; pas fait pour le granit et l'altitude ; toutes les maisons du hameau sont là ; une dizaine ; pas une de tombée ; les granges non plus ; c'est solide le granit ; toutes vides sauf une au bout du chemin ; on voit de la fumée qui sort du toit ; les dimanches quand on venait voir ma grand-mère c'était difficile de se garer ; les enfants et les petits enfants des vieux paysans du hameau mais surtout les clients du rebouteux ; voisin de mes grands-parents ; détesté par ma grand-mère ; envié peut-être pour l'argent que ça lui rapportait ; bien plus tard j'ai appris que la grosse Marie la femme du rebouteux était la cousine germaine de ma grand-mère et la ferme de mes grands-parents achetée par mes arrière-grands-parents au père du rebouteux; rejeton un peu râté d'une famille devenue riche à Lyon ; des pharmaciens ; des notaires ; des médecins ; jamais dit ; trouvé dans les registres ; confirmé par un descendant des lyonnais par alliance ; près du chêne la serve ; vide et envahie d'herbes ; mon petit frère avait failli s'y noyer ; sur le chemin du haut je cherche les abreuvoirs ; l'eau fraîche et les fougères ; sur le chemin du haut non carrossable il ne reste qu'un abreuvoir ; l'autre a disparu ; les vaches aussi ; sur le chemin du bas des enclos où poussaient les potagers ; toujours plantés à la belle saison sans doute ; les ronces ne les ont pas envahis ; rien n'y pousse en hiver ; plus de choux ; plus de poireaux qui se maintenaient sous la neige ; tout est plus propre ; toits refaits ; volets repeints ; clôtures plantées ; semblants de décoration ; maisons d'estivants pauvres ; plus de tas de fumier ; plus de volailles qui courent ; plus d'odeurs ; l'unique véranda du hameau ; celle de la cousine Marthe ; que je trouvais si citadine ; près du chêne ; n'a que quelques carreaux cassés ; tient encore ; Marthe lisant ses romans à couverture jaune avec une plume et un masque noirs sous sa véranda ; morte depuis plus de trente ans ; nous passions nos vacances dans l'appartement que nous prêtait la tante Finette ; une grand-tante en fait ; au-dessus de chez Marthe ; qui n'était qu'une très lointaine cousine ; jamais dit non plus ; professeur à Firminy ; héritière de la tante Gal ; d'emprunts russes ; nous a invités une fois pour un goûter ; il faudrait revenir en été ; ça sent moins le cimetière et l'abandon en été ; revenir en été ; les chars de foin ; la batteuse ; ma mère brodant des draps sous le chêne et nous contraints à des bains de soleil hygiénistes ; j'ai vécu là les premiers mois de ma vie en hiver ;

Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur le tiers-livre. Vidéo explicative ici, sur la chaîne youtube de François Bon.

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