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Photo du rédacteurDanièle Godard-Livet

Bois Dieu au 17eme siècle : une maison des champs pour un érudit prodigieux et un faussaire habile



Lyon au 16e siècle


Il faut imaginer Lyon à la fin du 16eme et au début du 17eme siècle. il s'agit d'une période de prospérité, de développement urbain, économique et intellectuel ; c'est le temps des foires, des imprimeurs, des banquiers, les débuts de la soierie qui la met en relation avec les grandes villes italiennes et un haut lieu de l'installation de la réforme protestante. Mais dans le premier quart du 17eme siècle, de mauvaises récoltes, des conflits locaux favorisant des passages de troupes l’avaient beaucoup affaiblie au point qu’elle devint une proie facile pour la peste qui sévissait alors aux alentours.

Alors que les terres autour de Lyon sont traditionnellement la propriété des seigneurs ecclésiastiques de la ville, les bourgeois lyonnais s'enrichissent et deviennent de solides propriétaires terriens durant la Renaissance. Ils construisentdes maisons des champs qui se veulent lieux de culture et de villégiature, où l’on profite des jardins, des vignes, des fruits du domaine, où l’on donne des fêtes et où l’on jouit de sa bibliothèque.les maisons des champsfleurissent tout autour de Lyon de Sainte-Foy à Grigny, en passant par Saint-Genis-Laval, Vourles, Charly, Millery, Irigny et Vernaison, mais aussi à Dardilly avec le manoir de Parsonge.

Lissieu n'échappe pas à ces mouvements contradictoires : attaque en 1591 par les huguenots du château de Lissieu où Hugues Athiaud ( -1593), seigneur de Lissieu, docteur en droit, ardent ligueur, est fait prisonnier; épidémie de peste de 1628-1629 ; installation à Bois-Dieu paroisse de Lissieu de deux personnages haut en couleur : un ardent bibliophile Claude du Verdier, fils de l'auteur de la Bibliothèque française et un futur faussairequi s'illustrera (et sera condamné) dans l'affaire des pièces de quatre sous.


L'achat de Claude du Verdier en 1605, pas encore une maison des champs


Le 8 mai 1605, Antoine Baud contracte avec le représentant de Claude du Verdier, écuyer,seigneur de Valprivas, gentilhomme de la chambre de Monsieur le prince de Condé. La vente ne porte que sur des « mures qui souloit estre maison, etestable au dessoubz avec ung cellier y touchant, aysances du puys et ung jardin ». c'est à peine une maison des champs, pas encore un château.

Les archives du château de Bois Dieu, transmises par la famille des derniers propriétaires en 1984 aux archives departementales montrent que c’est dès 1560 que des bourgeois lyonnais s’intéressent à acheter de la terre à Bois Dieu pour constituer progressivement un domaine conséquent. Aucun n’a cependant la surface financière nécessaire à l’édification d'un véritable maison des champs. Ce sont principalement les terres rassemblées à partir de 1560 par la famille Baud marchand tanneur à Lyon (et accessoirement fermier des rentes et tènement du château de Chazay d’azergues) et celles de la famille Coinde, laboureur à Lissieu (ayant plusieurs enfants et descendants installés à Lyon comme aubergiste, veloutier ou cartier) qui seront achetées par André Claustrier.


Mais revenons à du Verdier, acheteur de 1605. Antoine du Verdier et son fils Claude du Verdier sont des bibliographes réputés, intéressants par la culture qui fut la leur et aurait pu, alliée à des moyens plus grands, leur permettre d’édifier cette première maison des champs de Bois Dieu.

Antoine du Verdier, le père de Claude acheteur de Bois Dieu, se constitua une magnifique bibliothèque dont il communiquait volontiers les livres et les manuscrits. Il forma le projet gigantesque de rédiger une Bibliothèque françoise rassemblant tous les auteurs d'écrits disponibles à son époque écrits ou traduits en français depuis cinq cents ans et plus,contenant aussi des éléments biographiques sur tous les auteurs,ouvrage qu’il publia à Lyon en 1585. L’ouvrage sera publié à nouveau en 1772 et 1773 sous le titre de nouvelle édition des bibliothèques françaises en 5 tomes de du verdier et La Croix du Maine1. Ce gigantesque ouvrage conservé dans quelques bibliothèques européennes et d'Amérique du Nord est accessible sur Gallica (dans une très mauvaise numérisation) et partiellement accessible sur internet depuis 2016. Un monument oublié qui vaut bien la maison des champs qu’édifia André Claustrier et qui fut bâti avec des procédés plus honnètes.


André Claustrier, le faussaire constructeur du premier château de Bois Dieu (1672- 1690 )


Il faut attendre Claustrier qui achète vers 1672 l’ensemble du domaine constitué par Antoine Baud et son fils pour que Bois Dieu devienne ce produit mixte entre le château, siège de la seigneurie, signe de noblesse et la maison de campagne de bourgeois citadins où la tentation de « vivre noblement » dans des châteaux en réduction vient contrarier la séduction des majestueuses villas gravées par Palladio.


André Claustrier, conseiller du roi, receveur général des finances à Lyon, achète le domaine de Bois Dieu vers 1672 ; il reçoit à la même époque, par délégation de Desmaretz neveu de Colbert, la ferme de la fabrication de la nouvelle monnaie voulue par Louis XIV, moins riche en métal qui doit permettre de réduire la pénurie de monnaie et procurer au trésor royal un million de livres de profit : l’écu de quatre sous2

André Claustrier est condamné en 1684 pour fabrication de fausse monnaie, démis de sa charge de receveur général des finances, condamné à trois ans de bannissement et à de fortes amendes. Dans le mémoire qu’il écrit pour sa défense, il reconnaît 700 000 livres de profit qu’il estime considérable, mais légitime et parvient à un arrangement forfaitaire qui le dégage presque totalement des amendes, mais pas de la saisie de ses biens.

Entre-temps, il a construit Bois Dieu, le château et la chapelle, acquis la ferme et aménagé de fort jolis jardins agrémentés de serres remplies de plantes exotiques de grand prix. Lors de l’inventaire de saisie en 1690 l’huissier scelle soixante-treize pieds d’orangers (ou citronniers) dans leurs caisses, répartis autour du jardin sans compter vingt-cinq orangers chinois, trente pieds de laurier, neuf pieds de grenadiers, dix-sept de jasmin, quatorze d’œillets. Une vraie maison des champs dont il n’aura pas le temps de profiter puisque l’ensemble du domaine restera sous bail judiciaire jusqu’à la vente par adjudication à Jacques Millière en 1695.

André Claustrier meurt entre 1695 et 1703. Son fils Gilbert sera repris par Desmaretz revenu en grâce dans de hautes fonctions financières et anobli par Louis XV, mettant fin à la disgrâce de la famille du condamné de 1684.


Le 18e siècle accueillera des hôtes moins prestigieux qui ne laisseront pas leur nom dans l'histoire de France, mais c'est une autre histoire... qui viendra en son temps.


1La croix du Maine (françois Grudé) avait eu la même idée que du Verdier, à la même époque. La postérité leur rendit hommage en les associant, non sans les critiquer et les corriger

2L’affaire, le scandale financier, fit assez grand bruit pour être évoquée dans les mémoires de Saint-Simon sous le titre Desmarets et l’affaire des pièces de quatre sols. L’atelier principal est installé à Neuville sur Saône et fonctionne sous la direction de Claustrierj. Les pièces fabriquées se révèlent de poids et de titre très inégal, ce qui favorise les manœuvres de refonte. Les régisseurs ne sont pourtant pas inquiétés et André Clautrier est même pourvu en août 1679 de l’une des deux recettes générales des Finances de Lyon. C’est sur dénonciation d’une femme des environs de Lyon au début d’octobre 1683 ( l’atelier de Neuville fonctionne au-delà des horaires réglementaires et fabrique ainsi plus qu’autorisé) qu’une enquête va être menée.

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