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  • Danièle Godard Livet

Comment j'ai voyagé à côté d'un terroriste yéménite...


27 septembre 2015 13h 40 : j'embarque à Dublin pour Toronto sur Aer Lingus. J'envoie un dernier whatsapp et je mets mon téléphone en mode avion. Tout va bien, pas besoin d'anxyolitique.

13h50 : embarquement terminé, je regarde par dessus l'épaule de mon voisin. Il whatsapp sans arrêt en arabe.

14h00 : on nous annonce un retard, l'écran de son téléphone est vert, plein de drapeaux verts, enfin je vois du vert partout comme sur les drapeaux du hezbollah. Il écrit toujours en arabe.

14h10 : toujours pas de décollage, l'avion ne bouge pas. Mon voisin a une très belle montre très chère, je vois Aden écrit sur son téléphone.

14h20 : mon coeur bat de plus en plus vite. Dans Homeland aussi, Brody a une très belle montre, c'est un terroriste éduqué.

14h 30 : toujours pas de décollage, si je le dénonce, c'est sûr tout va s'arrêter, on ne décollera pas, on est déjà tellement en retard. Mais il risque de me coller un procès pour dénonciation calomnieuse.

14h40 : si je simule une crise d'angoisse (pas besoin de simuler d'aileurs), on me descendra à terre, le vol partira sans moi... vers une mort certaine, écrasé contre une tour.

14h50 : on va décoller, trop tard pour la crise d'angoisse, j'essaie la méditation.

15h00 : je lui parle, je lui demande de mettre son téléphone en mode avion, il me dit que ça ne sert à rien mais le fait.

15h10 : il est médecin, chirurgien colorectal et il écrivait à sa femme à Aden. Et le vert, c'est le logo de whatsapp. Cela ne prouve rien. On est en guerre. La France bombarde la Syrie.

15h20 : C'est où Aden ? Saudi Arabia dit-il, enfin tout en bas. Le yemen, c'est ça ! En plus, il ment. Le Yémen c'est chaud. Je préfère mettre mon bandeau et penser que les contrôles de l'aéroport sont efficaces et que je n'ai pas à faire le travail à leur place.

15h 30 : turbulences, TURBULENCES, Turbulences, TURbulences. Pas le droit de bouger, il ne peut rien tenter. De toute façon, il ne prendrait pas le risque de piloter tout un vol transatlantique, il va laisser cela aux pilotes et prendre les commandes au dessus du Québec

16h : TURBULENCES, Turbulences, ça dure. Qu'est ce qu'il vaut mieux ? Turbulences ou terroriste. S'écraser dans l'atlantique ou contre une tour. J'essaie de méditer.

16h15 : plus de turbulences, comme si on se posait sur du velours. Soulagement. Il me dit que c'est la première fois qu'il vit un aussi long épisode de turbulences. On parle de la conduite à tenir en cas d'appel à un médecin pendant le vol. Il est très clair : urgence vitale j'interviens, j'update les gestes tous les deux ans, comme ça je suis près ; pas d'urgence vitale, je laisse le personnel de bord se débrouiller. Excellent conseil. Je vais faire comme lui et updater dès mon arrivée 16h 25 : il va aux toilettes, je le suis pour veiller à ce qu'il ne ressorte pas armé de pied en cap. Rien, il ressort normal. Dans l'eurostar les GIs ont désarmé le terroriste et Obama les a félicités. J'aurais tout de suite mon permis de travail canadien si je sauvais l'avion en désarmant le terroriste.

16h 30 : j'ai un plan ; s'il se met à farfouiller dans le casier au-dessus des sièges. Je le cogne avec mes pieds, en me protégeant les points vitaux avec un gros livre très épais. On ne meurt pas si vite, même s'il visait le coeur, la reliure me protègerait. Calcul entre le risque d'un procès pour agression et la perte de tout un avion qui fonce sur une tour. Réflexion, méditation, angoisse, méditation.

16h 40 : je médite et je m'endors sans doute.

18h 00 : réveil, il est toujours là. Il a dormi et enlève son bandeau. Rien ne se passe.

19h 00 : il risque de prendre les commandes quand nous survolerons la terre.

19h10 : la côte est splendide, on suit le St Laurent, je vois le Saguenay et Tadoussac. Très belle vision. Si je médite assez fort, après tant de beauté j'aurais au moins eu ça dans ma vie même s'il met son plan à exécution.

20h00 : arrivée à Toronto, j'ai râté ma correspondance pour Montréal. Il m'aide à m'expliquer avec les hotesses pour trouver un autre vol. J'ai trop honte, mais de quoi ? De n'avoir pas eu le courage de signaler et de désarmer un terroriste par crainte d'un procès en diffamation ? D'avoir angoissé sans raison ? D'avoir tout mélangé ? D'avoir trop d'imagination ? De me sentir responsable de la terre entière ? En parler à la psy.

27 septembre 2015 15h (heure locale ) : je prends mon vol pour Montréal. C'est plein de chinois à bord ; ils portent tous des masques. Guerre totale !

22h (heure locale) : on part manger avec Stefano. Super lune et éclipse. La lune est rouge et très grosse. Sublime !


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