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Danièle Godard-Livet

Solitude extrême (suite de l'aventure en bus)


ombre solitaire

Lundi, elle retrouva la passagère du vendredi, celle du 9 h 27 (qui passait le lundi à 9 h 25 et le samedi à 9 h 39), toujours au téléphone, avec sa maman. La passagère tatouée accepta de bon cœur d’être prise en photo et confia qu’elle travaillait à la préfecture, mais la conversation n’alla pas plus loin. Elle l’aurait crue serveuse dans un restaurant et sûrement pas devisant longuement avec sa mère ; comme on se trompe sur les gens ! Elle la suivrait, mais s’arrêterait à Limonest centre pour s'offrir un café en terrasse. Ce lundi était déprimant, ce n’était pas le même chauffeur et elles n’étaient que cinq personnes dans le bus : une fille et sa mère, 50 et 70 ans qui parlaient allemand entre elles, la passagère , une toute jeune fille dont le profil pur resté dans l’ombre se détachait joliment sur le vert brillant des arbres qu’on voyait défiler par la vitre et elle-même poursuivant son enquête. Était-ce le lundi ou le mois d’août qui allait commencer ?

Elle but son café à côté de deux maçons de Ribeiro maçonnerie, teeshirt trop court, pantalon trop bas laissant voir le slip et la raie des fesses. « Revenez à l’occasion, je suis ouvert tout le mois d’août ; tout est fermé, mais moi je reste ouvert ». Il sentait approcher le grand vide du mois d'août, elle lui dit à bientôt et décida de rentrer à pied (3 km) car le terminus du prochain bus était une nouvelle fois à Limonest cimetière. Un silence de cimetière effectivement. Elle avait retrouvé la référence du livre qu’elle attribuait faussement à François Maspéro les autonautes de la cosmoroute qui décrivait toutes les aires de l’autoroute du soleil parcourue en camping-car Vokswagen. Les auteurs en étaient Julio Cortazar et Carol Dunlop qui l’avaient entrepris comme un dernier voyage, sachant tous les deux qu’ils étaient gravement malades et mourant peu après leur retour ! Cimetière aussi à Plambeau où la croix des Autrichiens invisible de la route commémorait une défaite de Napoléon en 1814. Cinq mille hommes (Français et Autrichiens mêlés) y avaient laissé la vie ou une partie d’eux-mêmes ; c’était écrit sur un panneau d’information accolé à la croix.

Il n’y avait pas de trottoir, mais un cheminement possiblement piétonnier protégé par une barrière de ciment dans les grands lacets, puis par une rambarde en bois lorsque la route redevenait droite. La vue était belle sur la plaine et le soleil encore supportable. Les cyclistes aimaient cette montée malgré la circulation et l’étroitesse de la piste cyclable (le pochoir devait être étiré en hauteur pour tenir entre le bord de route et la bande blanche délimitant la piste, un cycliste en danseuse), elle en croisa plusieurs, muets et exténués par l'effort ; un, pourtant, sourit et se retourna en lui demandant de le photographier : la troisième personne de la matinée avec qui elle échangeait. Elle marchait sous des érables champêtres, parfois un prunier sauvage dépassait de la haie, couvert de fruits jaunes ou rouges. Ils étaient déjà presque mûrs et elle mangea deux prunes, une jaune et une rouge. Elle faillit marcher sur deux escargots accouplés et pensa que même les hermaphrodites avaient besoin de contact. Les symboles routiers et la profusion d’information sur les arrêts d’autobus (elle en parlerait une autre fois) avaient été ses seuls contacts humains en trois heures.


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