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Danièle Godard-Livet

Aspiration au calme


Une voisine m’annonce par mail que le 19 un élagueur viendra couper le grand cèdre qui est au fond de son jardin. « Fini les aiguilles dans la piscine ! » écrit-elle. Le 21, elle et son mari fêteront leurs vingt ans de mariage et m’invitent à l’apéritif dans le même mail. C’est une mauvaise idée, mais je ne sais comment le lui dire.

Cette nuit je cherchais vainement le dossier où je devrais consigner mes projets pour l’année suivante, des projets qui justifieraient la poursuite de mon contrat de travail. Rien ne venait et en plus je ne trouvais pas le dossier. J’imaginais quelque chose autour de collaborations à nouer avec des organismes dont je ne retrouvais plus le nom. Mon patron m’aimait bien et était patient, il savait que je traversais une mauvaise passe avec le départ de mon mari, mais je savais aussi que cela n’aurait qu’un temps. Je ne baissais pas les bras, mais rien ne venait.

J’étais pleine d’une sensation d’urgence, de chaos et de maigre estime de moi. En temps normal et si j’avais retrouvé le dossier, j’aurais été capable d’imaginer des alternatives séduisantes et prometteuses à mes misérables réalisations antérieures. Mon inefficacité me confondait et révélait ma vraie nature.

Au réveil (car ce n’était qu’un cauchemar), j’ai tenu à garder longtemps cette sensation marécageuse.

Tout était faux, mon mari était près de moi, je n’avais aucun dossier à trouver et rien à justifier pour la poursuite de mon emploi. Je jouissais de ma peur. Les rêves sont là pour expulser nos terreurs enfouies.

J’ai recherché le mail de ma voisine. Il était toujours là dans ma boite de réception. Fallait-il y répondre ou bien me réjouir comme tout le monde que les aiguilles ne tombent plus dans la piscine et aller boire à la santé de la mort de l’arbre ? Moi aussi j’ai fait couper il y a quelques années un grand peuplier que mon mari détestait et qui envoyait au printemps un duvet cotonneux dans tout le quartier. C’était un peuplier femelle. J’ai mis très longtemps à me débarrasser des repousses qui envahissaient la pelouse. Tous les voisins me témoignent une grande gratitude pour l’abattage de cet arbre à chaque fête des voisins.

Nous avons planté un tilleul à sa place, et même un tilleul spécialement dédié à une petite Alice née au Canada chez des amis de notre fille. C’était le cadeau de naissance qu’ils souhaitaient. « Plantez un arbre pour Alice », disait leur faire-part de naissance. L’année qui suivit fut très sèche et l’apex mourut. Ce qui devait devenir un grand tilleul qui parfumerait nos étés n’est plus qu’une petite touffe verte qui survit à un mètre du sol; le tronc grossit, mais les branches ne se déploient pas. Mon mari l’arrose avec patience, la patience du jardinier me rappelle-t-il, qualité dont je suis dénuée.Je n’ai rien dit aux parents d’Alice non plus.

Hier, le cours de Qi qong m’a fait un effet inattendu. En rentrant, j’avais très faim et j’ai fait une longue sieste. J’ai regardé ensuite une vidéo immersive d’Hugues Cormier « méditation avec campagne et ruisseau » (avec la souris on se promène à 360° au bord du ruisseau). C’est un psychiatre qui enseigne à la faculté de médecine de Montréal. Je me demande si nous ne faisons pas fausse route dans notre aspiration au calme.

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