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Danièle Godard Livet

Seul sur l'île


photographe au bord de l'eau; photo véronique Robert

Lorsqu’il se retrouva seul sur l’île, lorsqu’il vit la poupe du bateau s’éloigner, il ressentit un petit pincement au cœur. Comme quand on voit s’éloigner la voiture d’amis rares ou lorsqu’on quitte une maison de vacances heureuses. Il décida de marcher pour dissiper cette émotion maussade. Peu de pas suffirent à lui faire sentir qu’il craignait ce qui pouvait sugir derrière lui ou du côté de la forêt. Des hauteurs de ces grands arbres, il imagina dégringoler des bêtes menaçantes ou simplement un chien surgir de sous les taillis pour le dévorer. Il décida de s’asseoir sur la plage et d’y rester.

Il vérifia que son téléphone et ses batteries de rechange étaient toujours dans son sac à dos. Son reportage Instagram restait son souci principal et il entreprit de réaliser un panoramique pour situer l’aventure pour ses followers, à hauteur des yeux d’abord, puis en visant l’immensité du ciel qui, soit dit en passant, commençait à se couvrir de nuages. D’où verrait-il mieux le coucher du soleil ? Il s’aperçut qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où se situait l’Ouest et qu’il n’avait pas de carte et encore moins de connexion à Google maps.

Cela commençait mal. Il entreprit de faire quelques photos des bords de l’eau, des tout petits poissons qui filaient sous la surface, se cachaient sous les pierres en soulevant un peu de boue et de ces longues traines de plantes aquatiques qui remontaient à l'air libre pour fleurir. Ce n’était pas vraiment exotique et ne donnait pas tellement envie de plonger. En vérifiant ses clichés, c’est surtout son visage qu’il vit. La contre-plongée ne l’avantageait pas, mais surtout il s'étonna de voir combien il avait vieilli, lui qui, regardant sous l’eau, avait cru retrouver ses sensations de pêche enfantine et sa frimousse de gamin ?

Il fit un selfie souriant de son bon profil pour se redonner du courage. Le soir tombait, il voyait le soleil disparaître derrière la forêt. Tant pis pour le cliché du coucher de soleil, il aurait au moins celui du petit matin, même s’il fallait marcher longtemps le long du rivage. S’installer pour la nuit, manger un peu, devinrent ses principales préoccupations. Cela lui fit du bien de grignoter les barres de céréales et le chocolat qu’il avait apporté, mais c’est surtout la bouteille de vin qui le réconforta. Il n’eut pas le courage d’installer le réchaud pour se cuire une soupe ou réchauffer un Pasta box.

En s’allongeant, il fut inquiet de tout ce qui pouvait remonter des profondeurs du sol, insectes et vers, animalcules gluants qui préféraient sûrement la fraîcheur du soir et la lumière de la lune. Petits rongeurs qui courraient sur la grève, oiseaux, couleuvres, rampants de toute sorte dont rien ne le protègerait. Heureusement, il s’endormit et le houhou des hulottes le berça plus qu’il ne l’effraya.

Il dormit mal sur le sable humide parsemé de cailloux. Il aurait tant aimé déjeuner d’un peu de rhum comme Robinson Crusoé. Il se rabattit sur les amandes et les pruneaux qui lui restaient. Le lever du jour le rassérénait, les chants d’oiseaux, les lueurs dans le ciel et même la senteur de l’eau si fraiche et cette toute petite brume qui flottait au-dessus. Même les sauts des grenouilles ne l’effrayèrent pas, ni le grand héron qui vint se poser à quelque distance.Il zooma sur lui. Il aurait aimé être Ulysse, tout sale et tout poilu, pour entendre les cris de frayeur des compagnes de Nausicaa. La peur changeait de camp.Tout était beau comme un matin du monde.

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