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Danièle Godard-Livet

Mangez-vous des légumes anciens ?


paquet de graines de pourpier Vilmorin

Légumes anciens

Il fut un temps où ma tante s'était prise d' un goût immodéré pour les légumes anciens. Elle avait déjà eu sa période sans gluten, lait facile à digérer, légumes fermentés et kéfir, diète aussi. Maintenant les légumes oubliés s'ajoutaient à la panoplie ; concernant la diète, elle en parlait beaucoup mais, au moins, ne nous invitait pas à diner pendant ses semaines de vie ascétique.

J'aimais beaucoup ma tante qui n'était pas seulement une idéologue, mais aussi une expérimentatrice honnète. Elle avait par exemple abandonné la consommation du cresson en apprenant que son producteur local nettoyait ses cresonnières au glyphosate en fin de période végétative. Rapide et sans déchet. Elle cultivait désormais le pourpier (avec des graines achetées chez kokopelli) et nous en vantait les mérites : richesse en omega 3, en vitamines, sels minéraux et mucilage (à effet epaississant et coupe-faim). les salades de pourpier (cru ou cuit) et le pourpier au vinaigre (qui ressemble un peu à la salicorne) remplaçait agréablement la tarte à la bourrache ou la roquette un peu dure que lui rapportait parfois un ami vénitien qui la cultivait sur l'île de la Giudecca dans un jardin social.

Il y a des merveilles de goûts à redécouvrir dans les rutabagas, les panais, les topinambours. J'appréciais moins la livèche, l'arroche et l'ortie mais j'adorais l'ail des ours et le kimchi en accompagnement. Ma tante savait aussi raconter et nous faisait voyager dans le monde et dans le temps. Sa mloukia rapportée en poudre du Liban savait nous ravir et nous emportait loin, très loin, bien plus que l'épinard ou l'oseille de nos contrées. Bien sûr, il fallait avoir l'estomac solide et tous ceux qui supportaient mal fibres et fodmaps (sucres fermentescibles ou Fermentable Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols) ne pouvaient céder sans risque à ce régime. Ma tante leur conseillait alors de travailler sur leur microbiote, en introduisant progressivement ces merveilles de la nature qui avaient nourri l'homme pendant des siècles.

Nous ne courrions pas chez Mac Do en sortant des repas de ma tante, nous faisions plutôt une cure de yaourt (au lait de chèvre pour mon mari). Une de mes cousines , quant à elle, collectionnait les alertes toxicologiques liées aux alimentations trop naturelles, préparées hors des méthodes ancestrales : cyanure dans le manioc, polyphénols dans la farine de glands, perturbateurs endocriniens dans le soja. Cela donnait du corps à nos discussions autour des plats et c'était parfois aussi emflammé qu'un échange autour des insoummis, des gilets jaunes ou d'En marche, surtout lorsque le vin (bio) avait un peu échauffé les esprits.

La salade de pourpier ne faisait l'objet d'aucune suspicion scientifique quant à sa toxicité et les enfants avaient le droit de la remplacer par une banale laitue du jardin, ou des radis, selon l'époque. Car le grand clou des visites à ma tante résidait dans la découverte de son jardin potager et des leçons de botanique qu'elle y dispensait sous le regard passionné des poules tenues à distance par les grillages.

Si l'on n'était pas en période de récolte, elle nous faisait aussi l'honneur d'une visite du local qu'elle avait aménagé pour confectionner conserves et confitures : le tripode, les grandes bassines de cuivre, le stérilisateur, les bocaux, vides et pleins, de la marque Le Parfait avec leur rondelle orange à oreille et leur monture métallique à levier. Nous en emportions toujours une petite provision.

Ce temps-là est révolu et j'y repense avec émotion. Notre tante est morte après une terrible chute en montagne, un accident stupide lors d'une randonnée botanique. J'ai encore dans un placard un de ses bocaux dont le contenu est sans doute périmé mais que je n'ose pas jeter.

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