Pour le nom de mon personnage, j’avais utilisé un générateur de noms (serendipity). C’était un conseil de l’animatrice d’atelier d’écriture que je suivais. Elle nous avait fait trois séances de mises en garde et de conseils sur le choix du nom du personnage pour en arriver à nous recommander le générateur. Après cinq ou six essais, Zéphiryne Chrétien m’avait paru convenir. Original, mais pas trop ; facile à prononcer et laissant une jolie empreinte sonore ; léger et terrien ; plein de spiritualité et concret. Les ennuis ont commencé avec la graphie : j’écrivais parfois Zéphyrine et d’autres fois Zéphiryne, autant de corrections qu’il faudrait faire et dont je me serais bien passé. Après, c’est l’histoire qui m’a posé question, ma Zéphyrine ne cessait de me rappeler qu’elle venait de Rivière des Monts, alors que pas du tout, elle était née à Latillié près de Poitiers. J’ai fait naître son ancêtre à Rivière des Monts croyant que cela suffirait. Ça l’a calmée un moment, mais pas complètement ; il a fallu aussi que je lui fasse passer des vacances au Québec (avant le confinement). Elle était très prude et ne voulait rien savoir de la romance que j’avais fait débuter un 14 juillet au bal des pompiers. Elle soutenait avoir été violée. Malgré sa haute teneur en bière, elle n’avait pas pu donner son consentement à Édouard Cousin le chef des pompiers. Ça n’allait pas du tout : Henri Bernard, le gendarme qui avait pris sa déposition ne la croyait pas. Après bien des hésitations, j’ai accepté de la soutenir, c’était dans l’air du temps et un ressort dramatique comme un autre. Ça me faisait rentrer dans des considérations techniques sur le fonctionnement de la gendarmerie et de la justice et il fallait que je me renseigne. J’ai trouvé sur [Slate] le récit détaillé d’une fille violée qui racontait son calvaire et ses démarches dans une sorte de long journal anonyme de 100 pages (ça avait duré deux ans entre les faits et la condamnation du violeur), manque de pot ça se passait en Australie et la fille (française) racontait qu’elle n’aurait jamais eu gain de cause de la même façon en France. « J’en sais quelque chose m’a dit Zéphiryne, tu connais l’histoire du 36 quai des orfèvres, de cette Canadienne violée par deux agents de police. » « Vaguement, je lui ai dit. » J’ai tout lu sur l’histoire du 36 quai des orfèvres. Ça m’a bien secoué, mais pendant ce temps mon roman restait en plan. La documentation c’est bien, mais il faut écrire aussi. J’avais déjà cinquante pages avec Zéphiryne Chrétien et j’étais bloqué. On m’a conseillé de changer le nom de mon personnage. « Rechercher tout » et « remplacer tout », et plus de Zéphiryne Chrétien qui pourrait devenir Roselyne Pineau. Ça sentait encore bien son québécois, je me suis méfié, je devais être tombé sur un générateur de noms québécois. Je faisais quoi maintenant ? J’abandonnais mon roman et l’idée d’écrire pour me consacrer aux vacances et aux barbecues familiaux ? Je subissais le syndrome de la page blanche et je me bourrais d’antidépresseurs ? Je n’étais pas Balzac, plus créatif que l’état civil pour nommer ces quelques 3000 personnages, ni Zola et ses Rougon-Macquart, ni même Roger Martin du Gard et ses Thibault (jamais lu) et de toute façon, ce n’était plus à la mode ce genre de grande fresque. Peut-être serais-je plus à l’aise avec un personnage sans nom ? Je dirais « Elle » ou « Madame » et jusqu’au bout le lecteur pourrait s’imaginer ce qu’il voulait, cela donnerait de la profondeur à mon propos. Ou alors, j’imaginerais une héroïne qui aurait plusieurs noms, plusieurs personnalités ? Je n’allais quand même pas rester bloqué sur le nom du personnage, j’avais déjà eu bien du mal à choisir de parler à la première personne et non à la troisième personne et à employer le passé au lieu du présent. Il fallait que j’en sorte.
La solution s’est imposée un petit matin après une nuit d’insomnie. Elle s’appellerait Miranda, elle aurait un père hypocondriaque amoureux de Shakespeare et se vengerait du viol qui avait conduit sa meilleure amie au suicide. J’ai repris mon texte au bal des pompiers et j’ai bien avancé pendant les vacances. En souvenir de Zéphiryne (ou pour me venger), j’ai donné à Miranda une mère canadienne anglophone originaire de Vancouver, morte alors que Miranda était très jeune. Quand la bibliothèque a rouvert à la rentrée, je n’ai pu m’empêcher d’en parler un peu à Florence, mon amie bibliothécaire. « Ça me rappelle une histoire que j’ai lue, m’a-t-elle dit. Mais continue, vas-y, vas-y, go, go, Philippe ! Toutes les histoires ont déjà été écrites, je suis sûre que la tienne sera tout à fait originale. »
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