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Goncourt 2021 versus Renaudot 1968 (et Goncourt 1959)

Photo du rédacteur: Danièle Godard-LivetDanièle Godard-Livet


J'ai acheté le Goncourt 2021 et j'ai lu sans grand émoi ce collage de récits de vie (celle de l'auteur et de protagonistes de son enquête sur un écrivain disparu).

Cherchant comme tout le monde qui était ce T.C. Elimane, auteur du Labyrinte de l'inhumain, les critiques m'ont guidée vers Le devoir de Violence de Yambo Ouologuem que j'ai retrouvé dans ma bibliothèque et que j'ai relu.


Quel choc ! Le devoir de violence est un vrai grand livre par son style et son propos, très politique, sur les sociétés africaines traditionnelles, leur violence, l'esclavage transatlantique et trans-saharien, les violences de la colonisation et les leurres de la décolonisation et des indépendances. Yambo Ouologuem avait 28 ans lorsqu'il reçut le Renaudot en 1968, son livre l'a réduit au silence sous prétexte de plagiats et son éditeur a même détruit les stocks ! Plagiat entre autres d'André Schwarz-Bart (Goncourt 1959 pour Le dernier des justes) qui sera lui-même réduit au silence après avoir écrit la mulâtresse solitude paru en 1972, alors que le livre devait faire partie d'un cycle de sept romans. La Mulâtresse Solitude aurait dû être écrit par un Antillais (et non par un juif) lira-t-on. André Schwarz-Bart finira sa vie en Guadeloupe et n'écrira plus. Lui pour qui, la Shoah et l’esclavage antillais étaient deux tragédies qui ne s’excluaient pas mutuellement. Mais la critique ne l'entendit pas ainsi.


Et voilà aujourd'hui un jeune homme de 31 ans qui monte sur les épaules d'un géant (dont il ne cite pas une ligne) et qui nous fait croire qu'il le cherche en vain à travers la planète, prétexte à des aventures rocambolesques et à des rencontres d'écrivains pour savoir si la littérature vaut mieux que la vie !!!

J'imagine que la supercherie de ce Goncourt 2021 sera vite découverte et qu'on ne lira pas La plus secrète mémoire des hommes dans 50 ou 60 ans. En revanche comme André Schwarz-Bart, Yambo Ouologuem l' écrivain disparu n'est pas un inconnu et son poids dans la littérature n'est pas passé inaperçu :

- Le seuil a republié Le devoir de violence en 2018

- Télérama consacre un article (très mesuré) à la réhabilitation du devoir de violence

- En mai 2018, le département d’Études africaines de la faculté de lettres de l’Université de Lausanne a organisé le colloque « L’œuvre de Yambo Ouologuem. Un carrefour d’écritures (1968-2018) », dont les contributions sont en libre accès.

- Pour lire des extraits du devoir de violence, c'est ici

- sur André Schwarz-Bart, allez fouiner dans les références de sa notice wikipédia


Je ne suis pas une critique littéraire et je n'ai rien contre Mohamed Mbougar Sarr qui passe si bien à la télé et à la radio, je m'autorise uniquement de mes souvenirs de lectrice pour raconter ces choses à ma fille qui est trop jeune pour les connaître et qui se pose des questions auxquelles personne ne l'aide à répondre.


Et contre les excès des accusations d'appropriation culturelle reprochée à André Schwarz-Bart, il est bon de lire les propos de sa femme, guadeloupéenne toujours vivante (Libération 29 octobre 2021) :

Quand j’ai rencontré André, et que j’ai apprécié la place de l’esclavage, et celle de la sortie de l’esclavage pour le peuple juif, j’ai alors compris combien mon histoire me manquait, ce passé qui ne voulait pas passer, et que je ne pouvais pas explorer par moi-même. Et je comprenais aussi toute la force qui émanait de cette phrase qu’André m’avait lue : «Tes ancêtres furent en esclavage durant un temps infini où ils ont payé un lourd tribut à la vie. Mais à ce prix, je rendrai l’homme plus précieux que les bijoux d’Ouphir.» Quand Solitude paraît, je me réapproprie alors cette histoire, mon histoire, et je peux dire aujourd’hui avec Baldwin : «Nos ancêtres ont payé comptant notre couronne, à nous de la porter.» Oui, c’est avec Solitude que mon histoire m’est venue. C’est elle qui m’a révélé le faste de notre farouche résistance à la déshumanisation.
Votre mari écrit seul un livre sur elle, en 1972, la Mulâtresse Solitude (Seuil). Il fut accusé avant l’heure d’appropriation culturelle…
L’homme qui avait écrit le Dernier des Justes était un expert en douleur. Sa désespérance des malheurs humains était à la fois somptueuse et sans borne. L’art est un combat acharné et invisible contre les trous noirs et dévorants de l’humanité. Ici, la polémique est vaine, si chacun doit rester dans son histoire et n’en pas sortir. Cependant, quand l’histoire de l’autre, des autres, devient aussi la vôtre, là commencent les tourments et les tourmenteurs. Solitude représente pour moi un cadeau inestimable, car elle m’a aidée à porter ma couronne, ainsi que d’autres héroïnes noires, pour leur combat acharné à ne pas se laisser dévorer par l’horreur.

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