Mes vacances à La Côte -Saint-André
- Danièle Godard-Livet

- 26 nov.
- 5 min de lecture

Qui va à la Côte-Saint-André pour des vacances ? Toute seule, Je n’y aurais pas pensé, Je n’avais pas choisi, j’étais invitée. J'allais rencontrer dans la vraie vie une connaissance internet. Et comme à chaque fois que l'on sort des itinéraires prescrits, la découverte est étonnante.
C’est plat, très plat. Une grande plaine agricole toute plate enserrée dans des collines, un village ancien à flanc de coteau qui déborde désormais largement sur la plaine et des routes rapides qui ne rendent pas la promenade à pied aisée. Mais des hauteurs duquel on voit jusqu’aux falaises du Vercors.
Et dès qu'on monte sur les collines le paysage change. Petites routes étroites et tortueuses traversant des prés et des forêts, cachant tourbières, petits vilages et monastères.
Ce qui me frappe d’abord ce sont ces murs construits en rangées de galets ronds alternant avec des rangées de tuiles.
Ça sent les restes des glaciations. Un regard sur internet et bing ! Nous sommes dans un sandar (pluriel sandur) au milieu des restes fluvioglaciaires de l’Isère et du Rhône dans la plaine de Bièvre bordée par des restes de moraines glaciaires. Un sandar comme en Islande. Pas la peine d’aller si loin.


L'histoire de ce bas Dauphiné n'est pas moins intéressante que sa géographie : il fut un des cinq foyers français de la Grande peur qui sévit dans certaines régions de France de la fin juillet 1789 au début août 1789. Grande révolte paysanne partie de Bourgoin, fruit de la misère provoquée par les mauvaises récoltes et la pression des féodaux et de l'église, des informations mal comprises venues de Paris (prise de la Bastille), des bruits propagés d'attaque de brigands ou d'invasion des Piémontais qui conduisit à la visite, au pillage ou à l'incendie de 80 châteaux et à la destruction de leurs archives et aux premières vagues d'émigration. L'assemblée constituante n'y mit fin que par l'abolition des privilèges (nuit du 4 août) et la création de la garde nationale dans chaque commune.
Et puis il y a l’immensité du ciel au-dessus de ce plat pays et le silence . La Côte-Saint- André est la patrie de naissance de Berlioz (1803-1869) et celle d'adoption à la fin de sa vie du peintre Jondkind (1819-1891). La Côte-Saint- André est assurément un lieu où souffle l'inspiration.

Berlioz la décrit ainsi dans ses mémoires :
« Je suis né le 11 décembre 1803, à La Côte-Saint-André, très petite ville de France, située dans le département de l’Isère, entre Vienne, Grenoble et Lyon . »La Côte-Saint-André, son nom l'indique, est bâtie sur le versant d'une colline, et domine une assez vaste plaine, riche, dorée, verdoyante, dont le silence a je ne sais quelle majesté rêveuse, encore augmentée par la ceinture de montagnes qui la borne au sud et à l'est, et derrière laquelle se dressent au loin, chargés de glaciers, les pics gigantesques des Alpes.
"Une très petite ville de France" accrochée au coteau autrefois tout planté de vigne, aux rues étroites et pentues, dont certaines maisons datent du XIeme siècle, mais qui possède la plus grande halle médiévale de France.

C'est au marché du jeudi matin que j'ai vu la robe de mariée q'un fripier avait accrochée à son camion. Comme on était tout proche d'Halloween, elle m'a inspiré une petite histoire que voici.
La robe de Lucile
La robe était parfaite. Dès que je l’ai vu au marché, j’ai su. Toute en dentelle, fermée jusqu’au cou (c’était important), à manches longues, avec une quasi-traine pas trop longue, juste assez pour balayer le sol.
Le décolleté couvert de fine dentelle était souligné d’un volant, de dentelle lui aussi. Comme les poignets. Blanche bien sûr, la robe était blanche. Une fripe, vendue comme telle au milieu de longues chemises de grand-mère en percale. J’avais mon idée : la traine serait maculée de rouge, une fleur rouge marquerait le cœur et peut-être faudrait-il découper le petit col droit de dentelle qui protégeait le cou. J’hésitais encore pour le col, mais je savais déjà que le rouge viendrait des grosses fleurs de bégonia qui s’épanouissaient encore alors que le 1er novembre approchait. Pour Halloween, je serai Lucile Desmoulin, la femme de Camille, le révolutionnaire ami de Danton décapité le même jour que lui. Lucile portera-t-elle dans ses bras sa propre tête décapitée ? Je ne sais pas encore. Ce que je sais, c’est que ce sera alors leur vrai mariage, celui de la jeune épouse rêveuse et rieuse qui écrit son journal pour se désennuyer de la révolution et de l’avocat sans le sou, bègue de surcroit, à qui son père ne voulait pas la donner. Lui, le journaliste, révolutionnaire de la première heure, élu député de la Convention, qu’elle aimait et qui l'aimait, dont elle avait déjà un fils et qui l’entrainera dans sa chute. Guillotinés tous les deux , le 5 avril 1794 pour lui, le 13 pour elle. Un mariage quand même, un même destin pour toujours. Un peu excessif la tête portée dans les bras ? Je ne suis pas la Mathilde du Rouge et le Noir de Stendhal qui emporte la tête de son amant décapité. Trop romantique, trop macabre même pour Halloween. Il n’y aura pas de tête, juste un col découpé et un liseré rouge autour du cou comme s’en dessinaient, dit-on, les forçats. Coupez ici.
Les préparatifs d’Halloween battaient leur plein et j’étais tout excitée par mon idée qui me venait juste de la robe, mais rentrait bien dans mes recherches sur la période révolutionnaire. En plein déchiffrement des délibérations du conseil général de mon village sous le gouvernement révolutionnaire, je regrettais peut-être que tout s’y fût si gentiment passé pour les châtelains du lieu. Pas une seule tête coupée même à l’occasion du siège de Lyon. Il faut dire que les châtelaines étaient surtout de vieilles filles héritières de belles demeures à qui on avait pris quelques arbres, du foin et des grains et parfois un bœuf tout en vendant aux enchères leurs récoltes de raisins et leurs ânées de vin. Les citrouilles étaient prêtes, les bonbons, les bâtons lumineux, un grand chapeau de sorcière que j’accroche chaque année au portail de la cour. Ne manquaient plus que les déguisements et les paniers pour la récolte. Le soir tombait. On voyait déjà des groupes de tout petits enfants accompagnés de leurs parents qui se présentaient timidement aux portes. Deux frères ou deux sœurs portaient de grosses mâchoires de dinosaures articulées qu’ils faisaient claquer avec beaucoup d’ardeur comme pour mordre les passants. Les groupes de presque ados viendraient plus tard quand il ferait noir. Il était temps d’allumer les lumignons dans les citrouilles et de surveiller le pillage de bonbons. J’allai enfiler la robe.
J’apparus blanche et rouge avec la tête décapitée dans un panier. J’avais choisi cette formule qui me semblait plus sobre et rembourré de chiffons une tête de caoutchouc blafarde vendue pour être portée en masque. J’apparus ainsi, ensanglantée, lugubre, funèbre, déplacée. J’eus beau expliquer le projet, la référence. Personne ne comprit. Tu ne vas pas sortir comme ça me dit mon mari. Je me serais drapée dans un drapeau aux couleurs de la Palestine ça n’aurait pas été pire. Je sais que j’ai souvent des idées comme ça, des raccourcis trop abrupts que personne ne comprend. Qui parfois même font peur et qu’il vaudrait mieux garder pour moi. On a du mal à te suivre renchérit mon mari. Heureusement, je n’ai paucun mal à me suivre et je sais qu’il ne faut pas gâcher les fêtes. Si ce n'était pas le cas, jamais mon mariage n'y aurait résisté. J’ai quitté la robe de Lucile et nous sommes partis à la quête des bonbons en ne gardant que le panier vide. La tête blafarde vidée de ses chiffons a facilement trouvé preneur. Halloween n’est pas une fête révolutionnaire.

Peut-être ne serai-je plus jamais invitée à la Côte-Saint-André et je regrette déjà ces si belles vacances. Merci Cécile M. créatrice de propositions d'écriture.



Merci Danièle pour ce récit et tes informations historiques passionnantes.
Bravo pour la robe que tu n'as pas pu montrer aux enfants et aux gens de ton village, personnellement j'aime cette idée de Lucile Desmoulins dans une robe blanche et sanglante à la fois.
Comme toujours beau texte avec ce brin de folie 💥