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  • Photo du rédacteurDanièle Godard-Livet

Plagiat et appropriation culturelle, littérature et imposture


Mohamed Mbougar Sarr en compagnie des auteurs oubliés

Si André Schwart-Bart a été accusé d’appropriation culturelle pour la mulâtresse solitude, roman après lequel il n’a plus rien écrit, c’est de plagiat qu’il avait été accusé pour Le dernier des justes (prix Goncourt 1959) ! « De plagiat, d’ignorance et de distorsion de la

théologie juive » ! *

« Schwarz-Bart reconnaît s’être documenté, avoir pris des milliers de notes. Le journal fait état d’autres rumeurs portant sur la fin du roman : Poliakov et Borwicz auraient largement inspiré le romancier pour la description d’Auschwitz. Schwarz-Bart explique que n’ayant pas été lui-même déporté, il s’est appuyé sur les récits d’authentiques témoins rapportés par ces historiens juifs… L’écrivain explique longuement son itinéraire, les cinq versions de son roman écrites durant quatre années de travail, ses lectures en bibliothèque au cours desquelles il reconnaît sans peine avoir annoté des textes… Le très respecté directeur du Figaro littéraire, Maurice Noël, demande en effet à Schwarz-Bart de lui remettre ses manuscrits et les ouvrages dont il s’est servi pour sa documentation. Après quatre jours de minutieuses comparaisons, il publie un entrefilet dans son journal qui innocente l’écrivain. Le Mercure de France dans son

numéro de novembre 1959 signale que trois lignes sur la mort du rabbi de York sont empruntées à une lettre de Madame de Sévigné racontant l’exécution en 1676 d’une empoisonneuse (la Brinvilliers). Le même passage sera exhumé deux ans plus tard par Le Canard enchaîné (29/3/61). André Stil, dans L’Humanité (5/11/59), signale qu’une scène du roman (p.277) est reprise mot pour mot d’un court passage (quelques lignes p.28) de La véritable histoire de Ah Q., roman chinois de Lou Sin. »*


Concernant La mulâtresse solitude, il sera reproché à Schwarz-Bart de ne pas être noir et de mettre sur le même plan Shoah et esclavage. L’écrivain sera réduit au silence comme Yambo Ouologem auteur du devoir de violence, prétexte à la quête du dernier prix Goncourt 2021. »Le roman de Ouologem est pilonné aux USA, est attaqué par une partie de la presse française. Ouologuem refuse de retravailler son deuxième roman (Les Pèlerins de Capharnaüm, inachevé et inédit à ce jour, dont une partie se trouve à l’Imec) comme le demande Le Seuil et ne parvient pas à faire aboutir ses projets chez les autres éditeurs. Il poursuit Le Figaro Littéraire pour diffamation et Le Seuil pour camouflage des comptes. » Le point 2021


Abel Quentin dans l’oracle d’Étampes traite avec humour d’une affaire d’appropriation culturelle. L’auteur oublié dont le narrateur veut faire redécouvrir l’œuvre était un afro-américain exilé en France et non seulement le narrateur ne le mentionne pas, mais invente à sa place des raisons à son exil : racisme anti-noir plutôt que maccarthysme anti communiste ? Indécidable jusqu’au bout.

Pour moi, les accusations d’appropriation culturelle sont particulièrement délicates et difficiles à trancher, ce qui fait leur grande force.Il m’arrive à moi aussi de m’agacer d’un auteur qui parle à la place d’un(e) autre sans en endosser la condition et la douleur.Mais cela doit-il interdire toute écriture dans tous les cas ?


Pour les accusations de plagiat, un bon logiciel dénichera tout ce qui traîne sur internet. Et puis maintenant on parle d’intertextualité et le plagiat est ravalé au rang de farce d’étudiant.

En revanche, où commence l’imposture ? Où finit la littérature ? Ce qui me choque profondément dans le roman de Mohamed Mbougar Sarr, c’est qu’il dénature le texte-culte qu’il prétend honorer en situant sa publication en 1938 alors qu’elle date de 1968.

1938, on est encore en plein gloire de l’empire français célébrée par l’exposition coloniale de 1931. Certes Albert Londres a publié Terre d’Ébène, André Gide a publié son Voyage au Congo, dénonciation de la colonisation. Mais en 1938, on parle à peine de décolonisation même si des voix commencent à s’élever réclamant l’indépendance. En 1968, c’est tout autre chose, un autre contexte, une autre vision du monde et la décolonisation est presque achevée. Imaginez À la recherche du temps perdu, publié trente ans avant, publié entre 1880 et 1900 ; ce serait un autre roman.


Et voilà qu’on édite à nouveau en 2018 Yambo Ouologem, l'année suivant sa mort et René Maran qu'on ne trouvait que sur le site de la BNF et chez les bouquinistes : Batouala Goncourt 1921 avec une préface d’Amin Maalouf et Un homme comme les autres avec une préface de Mohamed Mbougar Sarr.

Renè Maran, encore un auteur qui a beaucoup souffert d’avoir la peau noire et d’avoir dénoncé le drame de la colonisation… qu’on lira peut-être aujourd’hui avec cent ans de retard. André Schwarz-Bart quant à lui est toujours édité et un documentaire récent (2019) de Camille Clavel "Simone et André Scwarz-Bart, la mémoire en partage" revient sur l'histoire du "petit ouvrier juif résistant" et son histoire d'amour et d'écriture avec la guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart. Mais cela n'efface ni les drames humains vécus par ces auteurs et leurs proches, ni la perte pour la littérature des livres qu'ils n'ont pas écrits, ni même l'incapacité qu'a encore la France à faire face à son histoire.


La fiction permet tout et la littérature me semblait encore, il y a peu, le lieu où pouvait se dire et se comprendre l’humain sans s’attacher à une identité ethnique, raciale, religieuse ou autre ; cela semble aujourd’hui plus révolutionnaire et plus inconcevable qu’il y a cent ans, et de plus en plus entravé (attention cette phrase emprunte beaucoup à Amin Maalouf). A vous dégoûter d’écrire ! Comme Renè Maran, André Schwarz-Bart et Yambo Ouologem



Le dernier des Justes, d’André Schwarz-Bart, prix Goncourt 1959." Prof. Francine KAUFMANN (Université Bar-Ilan, Israël)

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