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  • Photo du rédacteurDanièle Godard-Livet

La voirie communale à Lissieu au 19e siècle, le retour des corvées



Aujourd'hui à Lissieu, plus rien ne distingue un chemin vicinal d'un chemin rural ou d'une voie communale créée avec les lotissements. Le chemin de la clôtre ressemble à s'y méprendre au chemin des rivières et à la rue Mozart et tous sont entretenus par la Métropole. Pourtant, il fut un temps où cette distinction n'était pas sans conséquences.


Dès le début du XIXe siècle, la législation distingue deux catégories de route : les routes nationales et départementales, gérées par les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées (rattachés au ministère des Travaux publics) et les chemins vicinaux, gérés par les agents voyers du service vicinal (personnel du Conseil général). La vicinalité, régie par les lois du 24 juillet 1824 et 21 mai 18361, recouvre elle-même deux sous-ensembles. La grande vicinalité comporte les chemins de grande communication et les chemins d’intérêt commun (reliant le chef-lieu de département et les chefs-lieux de canton), réseau entretenu et développé par le Conseil général, avec l’appui financier des communes. La petite vicinalité, au niveau de la commune, regroupe les chemins vicinaux ordinaires, la voirie urbaine et les chemins ruraux. Les agents voyers agissent alors au nom de la commune pour la construction et l’entretien du réseau routier, en l’absence d’agents communaux dédiés à cette tâche.


A Lissieu, le pouvoir central s’est occupé des routes au 18e siècle (route de paris à Lyon par la Bourgogne rectifiée entre 1785 et 1787 pour la section Montluzin-Limonest) et continue à s’en occuper au 19e siècle (route de Paris à Lyon évitant la côte de Limonest ouverte en 1848), mais c’est à la commune qu’il revient de se soucier des chemins vicinaux et de participer aux dépenses des chemins de grande communication et d’intérêt commun. Ce sera une de préoccupations (et des dépenses) majeures des conseils municipaux pendant tout le 19e siècle au moyen de jours de corvées (2 puis 3 pour tous les hommes de 18 à 60 ans) et de centimes additionnels (5 puis 5 + 3) aux quatre impôts.



Avant 1836 à Lissieu


Le conseil municipal de Lissieu dans plusieurs séances reconnaît l’état passable des chemins vicinaux, assure que les citoyens feront volontairement les travaux et s’engage à y consacrer 2/3 du budget de la commune (ce qui ne fait pas beaucoup). En 1806, on fixe même des conseillers municipaux responsables :

– des chemins de la partie septentrionale de la commune (Jean Voisin et Jean Pinet qui habitent à Montluzin et au Mas)

– des chemins aboutissant à la clôtre (Pierre Murat et Philibert voisin qui habitent à la clôtre)

– des chemins aboutissant au Bois Dieu (jean Claude Saignant et Balthazard Reverdy habitant de Bois)

Le tout se fera sous le contrôle d’Etienne Rivoire, maire et de Jean Marie Guyot, conseiller et propriétaire du château de la roue.

Pleins de bonne volonté, ces conseillers qui sont là depuis les débuts de la Révolution et en ont vu d’autres2, font tout de même remarquer que les chemins de Lissieu servent au transport de matériaux pour tout le monde et que la commune ne peut tout supporter.


On n’a aucune précision sur ce qui se fait ou ne se fait pas à cette époque, sauf pour le pont du ruisseau des Gorges complètement défoncé qu’il faut rebâtir en 1812 et dont Lissieu partage la charge avec Marcilly.


En 1821, on dresse une première liste des neuf chemins vicinaux de Lissieu avec pour chacun le nombre de journées à bras, voitures, à vaches à cheval ou à bœuf et le coût total des réparations, soit 211 journées et 4 535,50 F de dépenses. Sachant que les recettes de la commune ne s’élèvent qu’à 500,40 francs, on voit l’importance de l’effort à fournir. De plus, le conseil municipal précise que l’on n’a pas besoin partout de chemins de 5 m.

en 1828, monsieur Gourd habitant Bois Dieu propose de changer la direction du chemin conduisant du Bois Dieu à Dardilly, de l’élargie à 5 m. Il ne demande aucune indemnité et cède même une parcelle à vocation de place publique.


En 1829, nouvelle liste des 9 chemins vicinaux avec leur largeur et leur longueur. Lissieu reconnaît 16,662 km de chemins vicinaux dont un seul large de 7 m : le chemin tendant de Marcilly à la grande route passant par Montfort passant par le bourg de Lissieu ; tous les autres larges de 4 m voire moins ; les autres voies, dites chemins ruraux ne sont pas assujetties à des obligations d’entretien.


À partir de 1836 une attention bien plus grande aux chemins vicinaux, mais aussi l'époque du démembrement du fief de Lissieu et de l'apparition de nouveaux grands propriétaires


À partir de cette loi, c’est chaque année et jusqu’à la fin du siècle que le conseil municipal de Lissieu votera les trois journées et les cinq centimes additionnels pour insuffisance de ressources, créera des priorités dans les besoins pour les chemins vicinaux et assumera une participation aux frais des chemins de grande communication et d'intérêt commun

 En 1842, les priorités fixées :

– du bourg à la grande route par Montluzin

– du bourg au Bois Dieu

– de la croix rampeau à la grande route par le hameau de la clôtre


Mais c’est aussi l’époque où commence le démembrement du fief de Lissieu. Monsieur Chatron, homme d’affaires de Théodore Durozier3, propose à la commune des échanges pour que le domaine de la roue et celui des Calles ne soient plus traversés par des chemins vicinaux. En échange il propose la construction de nouveaux chemins construits et entretenus pendant trois ans à sa seule charge. Le conseil municipal est hésitant, mais acceptera lorsque Charles de Charrin4 deviendra propriétaire de la roue et Chatron de celui des Calles. En l’absence de plans, on ne peut faire que des hypothèses sur ce chemin neuf et celui qui ne traverse plus le domaine de la roue. Peut-être est-ce l’époque de la construction du chemin neuf ?


En 1848, la construction de la nouvelle grande route partage la commune de Lissieu en deux, met en péril la continuité territoriale, mais crée des opportunités pour certains


Lorsqu’en 1848 survient la construction de la route royale n° 6 dont le tracé a été arrêté après plus de dix ans de controverses entre les services de ponts et chaussées de l’Ain et du Rhône, deux nouveaux problèmes vont être soumis au conseil municipal ; en effet la nouvelle route coupe deux chemins vicinaux de Lissieu, celui de Marcilly à Bois Dieu par le bois pillot et celui du bourg à Bois Dieu par les Calles.

– La nouvelle route a mangé une partie du chemin des Calles et créé un fort dévers (Plus de 5 m) au niveau de ce chemin déjà fort pentu

– la nouvelle route a également rendu inutiles des parties importantes du chemin de Marcilly au Bois Dieu par le bois pillot.


Il ne semble pas que Lissieu ait réussi à se faire indemniser de la perte d’une partie du chemin des Calles et Monsieur Chatron devenu propriétaires des Calles n’entend pas faire les travaux qu’on attend de lui (et qui seraient payés par l’indemnisation) . Depuis son installation, il a construit le château des Calles et se trouve sans doute à court d’argent. Il revendra bientôt son domaine à de Charrin qui le revendra peu après à la famille Chaine.

Quant aux chemins rendus inutiles, on sait déjà qu’ils sont revendus à de Charrin et Brisson et que pour une partie (la partie commune), Lissieu et Dommartin s’en partagent la vente.https://www.lesmotsjustes.org/post/l-ali%C3%A9nation-du-chemin-du-bois-pillot-au-bois-d-ars-1850-1853


Pas de chemin nouveau, mais la défense des chemins de la commune contre les appropriations sauvages.

Malgré des projets discutés en conseil municipal, Lissieu ne créera pas de nouveau chemin. Un moment évoqué et simple de réalisation, le chemin de la clôtre à la route royale n° 6 ne verra pas le jour.

Le 13 février 1854 Chemin de la clôtre

Monsieur le président expose au conseil que pour mettre en communication le hameau de la clôtre avec la route impériale n° 6 et pour communiquer au lavoir public de la commune et de plus pour obtenir des matériaux propices à l’entretien des chemins vicinaux de la commune, il serait d’une grande utilité d’ouvrir une voie de communication entre ce hameau et la susdite route impériale.

Que cette voie de communication pourrait s’établir d’une manière très économe attendu qu’elle est déjà ouverte en plus forte partie par monsieur l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées par lequel il obtient les matériaux propices à l’entretien de la route impériale

Que déjà une souscription de deux cent quarante francs vient d’être faite par les habitants du hameau de la clôtre et autres propriétaires intéressés

Que de plus Messieurs Servet, Duchamp, Damour et Thibaud cèdent leur terrain gratuitement pour le passage de cette voie projetée et qu’il ne resterait plus que Monsieur Murat à indemnise

Propose au conseil d’adopter la résolution suivante :

.... Approuve la proposition de Monsieur l’ingénieur des ponts et chaussées et demande la prompte exécution du chemin désiré et qu’il soit de quatre mètres.


C’est à cette époque-là aussi que l’arrivée à Lissieu du comte O’Mahony qui a racheté à François Tourret le château de Montvallon entraine la commune de Lissieu dans une longue bataille judiciaire qu’elle perdra pour un sentier coupé par les constructions du comte. En donnant aux communes la responsabilité des chemins, la révolution les a fait entrer dans le domaine public dont les habitants et leurs élus sont les gardiens jaloux.


Sous le Second Empire et la troisième république, les choses avancent enfin réellement


Sans argent, les travaux restent modestes et les engagements de la commune prudents. Le Second Empire, puis la troisème république apporteront des subventions et des possibilités d’emprunt par la création d’une caisse des chemins vicinaux.


En 1871, Frédéric Perrin5 devenu maire de Lissieu s’affole de l’endettement de la commune dont personne ne l’avait mis au courant et demande de l’aide au préfet, car la commune se refuse à emprunter. Il est de plus incapable de lancer une souscription, les propriétaires lissilois ayant déjà beaucoup fait pour l’aide aux départements touchés par la guerre de 70 et encore occupés.


En 1873, le conseil général réprimande la commune de Lissieu (avec celle de Civrieux) pour le mauvais état de ses chemins.


En 1867 on élargira d’abord le chemin de la clôtre à la route de Limonest en indemnisant 12 propriétaires, puis on s’attaquera au chemin des calles qu’il faudra rectifier (on choisira le tracé le moins cher), adoucir, puis élargir en deux tronçons jusqu’à chez Thibaut, enfin viendra le tour du chemin de la cotonnière.


En 1880 Lissieu contracte son premier emprunt. Ce n’est qu’en 1882 qu’on créera un aqueduc à l’endroit où le chemin de la cotonnière est traversé par le ruisseau des Gorges. Dans ces années là, avec l’arrivée du phylloxera et privé de subvention, Lissieu renoncera à certains travaux sur les chemins vicinaux faute de moyens suffisants. Il faut dire qu’à la même époque, la commune doit faire les frais du déplacement de son cimetière.


Mais bientôt c’est le chemin de fer et l’emplacement de la gare qui vont préoccuper les Lissilois. Ce n’est que dans les années 30-40 du 20 eme siècle que les responsabilités des voies communales, départementales et nationales soient revues et le service vicinal intégré au service des Ponts et Chaussées. La corvée communale disparaîtra avec l’apparition des cantonniers, premiers employés des services techniques municipaux6.


En 1921 seulement, Lissieu recrutera un premier cantonnier communal et traitera les jonctions entre la nationale 6, la route de Marcilly et la route de Limonest (en recourant à l’aide financière de l’automobile club). En 1952, la route nationale 6 sera rectifiée. En 1968 viendra l'autoroute A6 et ses quatre ponts (sur la route de Marcilly, le chemin de Marcilly, la nationale 6 et le chemin de la cotonnière).


Plus d’un siècle a été nécessaire pour mettre en état les chemins vicinaux de Lissieu. Comment ne pas penser aux travaux qui nous attendent pour mettre en état nos bâtiments publics et privés pour faire face au changement climatique. Il paraît que nos routes en auront aussi besoin.



1On lira avec intérêt le texte et les commentaires d’époque de ces deux lois dans le manuel du voyer https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k34109888/f9.item.r=code%20des%20chemins%20vicinaux et les commentaires sur le loi de 1836 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63090882/f111.item

2Jean Marie Guyot est le fils d’Alexis Guyot qui a acheté la terre de Lissieu au dernier seigneur. Il a connu avec son père la mise sous séquestre de ses biens pendant la révolution, mais siège désormais au conseil municipal. Son fils sera maire de Lissieu avant de mourrir prématurément, sa fille épousera Théodore Durozier que l’on retrouve plus loin.

3Théodore Durozier n’est plus maire de Lissieu depuis 1830 et il cherche à vendre le domaine hérité de sa femme morte prématurément comme son frère.

4il est le bau-frère du maire de Lissieu Léon Fleurdelix

5Frédéric Perrin est propriétaire du chateau de la roue et de ce qui reste du domaine après son démembement au cours du 19e siècle

6à villeurbanne, la corvée communale disparait en 1909.https : //www.expressions-venissieux.fr/2022-05-19-au-temps-des-corvees-communales/ A lissieu, sans doute un peu plus tard.

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